Journal de crise XVI : Chausser des lunettes roses

CHAUSSER DES LUNETTES ROSES

C’est un Septembre noir, économique, social et financier qui s’annonce. Avec un peu d’attention, des signes roses sont néanmoins visibles. Ces signes, éphémères ou durables, ont une visibilité variable. Faisons, dans le désordre, de sept signes, un bouquet.

Les créateurs et repreneurs d’entreprises se disent optimistes quant à l’avenir de leurs entreprises (1). Cette confiance est affichée par une majorité des 9 000 enquêtés, dont 4 % s’affirment même « très optimistes ». À l’inverse, moins d’un quart se dit pessimiste. Pourtant la majorité a suspendu son activité et les deux tiers ont des problèmes graves de trésorerie. L’explication serait à trouver dans « l’accompagnement » de ces jeunes dirigeants, les conseils et l’écoute dont ils profitent. Ils sont engagés dans un dialogue permanent avec leurs banques et des réseaux de chefs d’entreprise. Seuls 3 % d’entre eux envisagent une possible fermeture, alors que 42 % espèrent un développement, quitte à passer par une diversification. Une entreprise sur huit n’exclut pas d’embaucher, essentiellement dans les services aux entreprises, l’éducation, la santé et les activités industrielles.

Une amélioration du dialogue social dans les entreprises (2). Lorsqu’il s’est agi de la vie ou de la mort des salariés tenus de continuer ou de reprendre le travail en dépit des risques, la nécessité d’un dialogue concret sur les conditions de travail s’est imposée. La hiérarchie n’a pas voulu mettre en danger ses salariés, qui auraient pu exercer un droit de retrait, alors que sa responsabilité pénale était en jeu et qu’elle était souvent ignorante des bonnes pratiques sur les lieux de travail. Les représentants du personnel, soucieux à la fois de la santé de leurs mandants et de la survie de l’entreprise étaient prêts à négocier des protections réalistes. Dans beaucoup d’entreprises, l’on est parvenu à un accord. Un accord, ce n’est pas « comme un train qui déraille » : on n’en parle peu dans les médias, a contrario des cas de désaccords, comme à Sandouville, dont la plainte de la CGT a fait les gros titres. Le nouveau « conseil économique et social » résultant des ordonnances Macron sur l’emploi, a pris de la consistance, alors qu’il végétait dans beaucoup d’entreprises. Ce qui est apparu au moment chaud de la crise pourrait subsister à l’automne, lorsqu’il faudra adapter les horaires, au cas par cas, pour tenir compte de l’évolution des marchés et du changement progressif des dispositifs imposés pour se protéger du virus. Ce dialogue à la base n’a pas eu son équivalent au sommet et il n’est pas sûr que les échanges récents avec le président suffisent à établir la confiance.

Quelques indicateurs macroéconomiques, conjoncturels ou structurels, virent au rose :

En France, la reprise de la consommation des ménages est significative depuis une semaine (3), même si elle ne se situe pas encore au niveau de l’an dernier et si elle est inégale selon les secteurs. N’oublions pas que l’épargne des ménages a augmenté de 60 milliards pendant le confinement. Le dégel pourrait donc être durable. En revanche, la reprise de la production est lente. Son accélération dépend pour une large mesure de la durée de la crise sanitaire. Tant que le virus rôde, beaucoup d’entreprises seront soumises à

des normes entrainant une baisse de productivité de l’ordre de 20 % et donc de leur production.

Quelques secteurs repartent rapidement (4). L’alimentaire (de l’agriculture à la distribution) ne semble plus gêné par des difficultés d’approvisionnement. L’industrie de la Santé (matériels, laboratoires) est dans une position favorable. En ces temps de tensions internationales, les industries d’armement sont dans tous les pays, dont la France, en croissance. Le secteur numérique et ses nombreuses sociétés de services est appelé à se développer, favorisé par la conversion au numérique d’un bon nombre d’entreprises et de particuliers. D’autres secteurs ont été relativement épargnés et ne se heurtent pas à des difficultés insurmontables, comme celui de l’eau, des déchets, de distribution du gaz. L’on peut également citer les produits d’entretien, le bricolage, le jardinage… Dans tous les secteurs évoqués les entreprises sont dans des situations très variables rendant nécessaires des fusions et des restructurations.

L’attractivité française reste forte (5) Le baromètre 2019 des investissements étrangers directs en Europe dans l’industrie et la recherche montre que la France est passée à la première place. Le Brexit n’est pas la seule cause de cette promotion. L’image de la politique économique et fiscale d’Emmanuel Macron reste favorable, ainsi que des avantages plus permanents : position géographique, infrastructures, centres de recherche. Cette place demeure fragile et elle doit être consolidée en permanence. En 2020, un recul en valeur absolue est inévitable dans tous les pays.

Aux États-Unis, contrairement à ce qui était attendu, le chômage a fortement baissé (6). Deux millions d’emplois auraient été créés en Mai. Certes, on peut contester les chiffres compte tenu des conditions troublées de leur collecte ou en limiter la portée (retrait du marché du travail), mais ils demeurent si élevés qu’il est difficile de contester le retournement. Attendons le prochain mois pour en apprécier le caractère durable. En attendant, il faut s’en réjouir. Les États-Unis sont un grand pays d’importations et les achats en provenance de France (agro-alimentaire, luxe) pourraient repartir rapidement. Il y a quelques semaines, dans un journal précédent, j’avais parié sur un redémarrage rapide aux États-Unis.

Les déficits publics seront facilement financés en 2020 (7). Les emprunts du Trésor Public sont aisément souscrits sur les marchés. En cinq mois, cent trente milliards ont été émis dans d’excellentes conditions (taux d’intérêt moyen de 0,04 % plus bas que celui de 2019, 0,11 %) et pour des durées longues. À ces emprunts s’ajouteront ceux émis par la BCE, voire par la Commission européenne, dont une quote-part reviendra à la France. Certes, il faudra rembourser mais les remboursements seront étalés dans le temps et si le redressement est rapide, la charge sera supportable, d’autant que les marchés nous resteront ouverts. Cette monétisation massive des dettes publiques n’a pour l’instant aucun effet inflationniste.

Pierre-Yves Cossé

9 Juin 2020

Soyez le premier à laisser un commentaire !

Laisser un commentaire