Journal de Crise XV par Pierre Yves Cossé

 

LE PRESIDENT FAIT PEUR

 

La France est partagée entre les citoyens en colère, qui considèrent qu’Emmanuel Macron est le « président des riches, le premier de classe qui n’en fait qu’à sa tête, le menteur incapable qui n’a pas su gérer la crise » et  les admirateurs unis autour d’un président qui fait son travail dans des circonstances exceptionnellement difficiles et qui parvient à se faire entendre à l’étranger, comme le montre la récente déclaration commune avec la Chancelière, qui peut déboucher sur une forte avancée de l’Europe.

 

État d’urgence

 

Cette querelle se poursuivra jusqu’à la fin de la mandature. Dans l’immédiat, elle peut laisser indifférent ceux qui sont mus par un sentiment de l’urgence et préoccupés exclusivement par les solutions à trouver pour limiter les effets de la crise économique et sociale, extrêmement grave, qui commence à faire sentir ses effets. Attendre 2022 ou demander le changement de Président est un comportement irresponsable. Nous devons faire avec l’actuel président et écarter l’hypothèse improbable d’une crise institutionnelle qui aggraverait nos maux. D’ailleurs, quel autre président, pour quelle autre politique ? Les extrêmes semblent heureusement hors-jeu ; la dénonciation de l’étranger, de l’immigré, de l’Union européenne et l’aventurisme dans un monde irréel conduiraient rapidement à l’impasse. Quant aux « partis de gouvernement », ils ne sont pas prêts à assurer la relève ; l’union des gauches et des écologistes n’existe pas, tandis que la droite, apparemment majoritaire dans l’opinion, est à la recherche d’un programme adapté à un contexte de retour de l’État, de demande de protection et d’un leader.

 

Parti pris

 

L’heure est aux propositions et à la recherche de compromis et de solutions acceptables par une majorité de Français plongés dans le doute. Si la possibilité de jouer un rôle positif dans cette crise nous est donnée, il faut s’en saisir. Les vingt-six économistes qui viennent d’accepter de participer à la Commission sur les grands défis économiques, climat, inégalités, vieillissement, ont raison de s’investir, même et surtout si certains d’entre eux sont connus pour leur opposition à la politique menée depuis 1997. Ceux qui crient qu’ « il ne peut changer » ont tort. Dans l’urgence, lorsque le sort du pays et le sien sont en cause, l’homme d’État peut opérer des virages spectaculaires. Les exemples sont nombreux, dont le virage « vers la rigueur » opéré en 1983 par François Mitterrand. Un thème peu macronien, celui des « inégalités », figure à cet égard en bonne place parmi les trois axes de réflexion proposés aux experts.

Ce parti pris peut échouer, mais je n’en vois pas d’autre possible eu égard à la gravité de la situation. L’Allemagne consent un effort double du nôtre par rapport au PIB pour soutenir leur économie face à la crise, 27 % au lieu de 13,4 %.

 

La question de la composition du gouvernement est secondaire, de même que celle d’un hypothétique changement de Premier ministre. Le ralliement des partis d’opposition obnubilés par l’échéance présidentielle de 2022 est de toutes les manières improbable. François Mitterrand a-t-il remplacé Pierre Mauroy en 1983 ? Un remaniement et l’entrée de nouvelles personnalités peut être utile mais ne suscitera pas un choc dans l’opinion. Ce qui compte ce sont les choix politiques, la manière de présider et de gouverner, et la capacité présidentielle à combler deux handicaps : sa gestion de la crise sanitaire, qui est surmontable, et son positionnement personnel, problématique pour l’avenir.

 

Handicap de la crise sanitaire

 

Dans dix-huit mois, l’on dira peut-être, que la France s’est « plutôt bien » tirée du Covid-19, par rapport à d’autres pays développés. Mais à l’heure actuelle, le citoyen, qui, certes, ne dispose pas des éléments d’information à la disposition des gouvernants au moment de la prise de décision, a de nombreux motifs d’insatisfaction.

 

Le premier tour des élections municipales n’aurait pas eu lieu, si Emmanuel Macron s’était comporté en chef suprême ignorant les avis de son entourage et faisant passer au premier plan sa directive de confinement.

 

Les affirmations répétées que le pouvoir politique s’en remettait en priorité à l’avis des scientifiques étaient dangereuses et finalement n’ont pas rassuré l’opinion. Winston Churchill disait que lorsqu’il réunissait ses trois principaux économistes, il obtenait quatre réponses différentes, parce que Monsieur Keynes en donne deux. Il en est de même dans le domaine de la médecine, surtout s’agissant d’un virus inconnu, à propos duquel les connaissances changent d’une semaine à l’autre, comme on l’a vu avec les enfants. Le pouvoir politique a présenté comme vérité d’Évangile, en l’absence de preuves formelles, que les enfants étaient des transmetteurs privilégiés du virus et a fermé toutes les écoles. Les parents ont été convaincus, se sont inquiétés au point qu’une partie d’entre eux hésite encore à renvoyer leurs enfants à l’école. De façon prévisible et normale, le monde médical et hospitalier a eu comme préoccupation quasi exclusive d’éviter la surcharge des services hospitaliers et de ne pas avoir à faire un tri parmi les malades. Le fait qu’à terme la pauvreté tue tout autant que le virus n’entrait pas en ligne de compte. En fait, le président a plutôt cherché à se « couvrir » qu’à respecter à la lettre les recommandations « scientifiques ». Le politique doit nourrir sa réflexion et sa délibération d’un maximum d’avis des “sachants” – aussi Emmanuel Macron a-t-il eu tout à fait raison de rendre visite au professeur Raoult à Marseille –, mais finalement, c’est lui et lui seul qui décide.

 

Les affirmations également répétées qu’une totale franchise était la règle et que tout serait dit, étaient également dangereuses. In fine, elles n’ont pas rassuré. Face à un fléau, le pouvoir a le devoir de ne pas affoler la population et de limiter sa communication aux éléments susceptibles d’être compris et acceptés par celle-ci. Il est parfois obligé de mentir, comme dans les situations de guerre. Étant entendu que le mensonge, surtout celui du Prince, a ses règles : il doit être crédible et ne peut être renié quelques jours après son énonciation. Le mensonge des masques a fortement affaibli la crédibilité du pouvoir dans l’opinion. Il était a priori facile de reconnaitre une pénurie, qui remonte à de nombreuses années et dont le gouvernement actuel n’est pas directement responsable, et de conseiller aux Français de se bricoler une protection faute de mieux. On a préféré trouver « son scientifique » pour dire que le masque ne servait à rien, avant de le rendre obligatoire dans les lieux fermés. Il en a été un peu de même avec les tests et les ventilateurs, même si la prouesse qu’a constituée le transfert à chaud de malades a atténué l’effet des pénuries. La France a mené une politique de gestion de la crise selon ses moyens en prétendant que c’était la politique optimale. Heureusement, la page est tournée et les moyens nécessaires sont disponibles. Le fait que l’on puisse aujourd’hui déceler les clusters, tester les proches des contaminés et les isoler montre les progrès accomplis et rassure. Dans la situation transitoire actuelle, le handicap de la gestion de la crise sanitaire perd de son importance.

 

Handicap du positionnement

 

Reste le handicap du positionnement personnel du président, qui est plus actuel que jamais. Le président avait le choix entre deux positionnements. Le premier était celui du « chef de guerre », un nouveau Clemenceau, toujours sur la brèche, centralisant au maximum la direction de la guerre, traitant son Premier ministre comme le « premier de ses collaborateurs », prononçant des allocutions de quelques minutes, quasiment chaque jour, pour donner des nouvelles du « champ de bataille ». Son premier discours, où le mot « guerre » revenait à six reprises, pouvait faire croire qu’il allait se positionner en chef de guerre, au risque de prendre tous les coups et de limiter ses marges de manœuvre à l’échelle internationale, faute de disponibilité. Une fois la guerre sanitaire gagnée, le chef de guerre aurait disparu.

 

Le second positionnement possible était celui de « père de la nation » bienveillant, rassurant, tourné vers l’avenir, rendant visite aux plus vulnérables. Dans ce cas, la gestion de la crise doit être assurée par le gouvernement, avec un appui sans failles du Président. Sur quelques questions délicates, celui-ci arbitre et explique les raisons de son choix. Il est présent sans être intrusif.

Emmanuel Macron n’a pas choisi. Il a tenté d’être à la fois le « chef de guerre » omniprésent et l’arbitre qui rassure. Ses interventions à la fois nombreuses, longues, vagues, et complexes n’ont pas convaincu. Qui saisit immédiatement des références elliptiques à l’article Un de la Déclaration des Droits de l’Homme ou au programme du Conseil National de la Résistance (« les jours heureux ») ? Progressivement, les citoyens ont fait plus confiance au Premier ministre, qui fixe les règles, donne les consignes et détermine le calendrier.

Cette ambivalence est quasi permanente. Un jour, il traite de la culture, en bras de chemises, tutoyant quelques « cultureux » de ses amis, confiant à son ministre, cravaté, le soin de prendre des notes. La semaine dernière c’est le tour de l’automobile.

 

Un exemple de confusion : l’automobile

 

La confusion est ici maximale. Le Ministre de l’Économie annonce le versement de « cinq milliards pour Renault » sans préciser qu’il ne s’agit pas de dotations en capital ou de subventions. Les cinq milliards viendront des banques, dont le risque est couvert par l’État à 95 %. Le personnel de Renault peut comprendre que l’entreprise est sauvée dans les structures actuelles. Puis le Président présente le plan automobile. La France sera « la première nation européenne des véhicules propres ». En 2025, circuleront un million de véhicules électriques (le conseil national de l’industrie avait proposé 2022…). Des primes seront versées aux acheteurs et des aides seront accordées pour la recherche-développement. L’emploi et le verdissement sont parmi les objectifs. L’annonce du plan rassure un peu plus salariés et sous-traitants. Toujours dans la même semaine, Renault présente sa stratégie, qui inclut des fermetures de sites ou tout au moins de fortes réductions d’activités et des suppressions d’emploi, sans que les dispositifs d’accompagnement soient explicités. Deux jours après, les travailleurs et les citoyens de Maubeuge sont dans la rue…. Chacune des décisions a sa logique mais l’ensemble est privé de toute cohérence apparente ? Est -ce au Président de monter en première ligne pour traiter du devenir incertain et complexe d’un secteur en mutation ou en crise dans le monde ? A-t-on jamais vu François Mitterrand s’impliquer personnellement dans des dossiers de cette nature ? Il préférait « « user » son Premier ministre. Jean-Dominique Sénard est quant à lui dans son rôle de président, lorsqu’il présente une stratégie adaptée au nouveau contexte international et à la sous-utilisation massive des capacités de production des usines, en particulier en France. Ce plan n’est d’ailleurs pas seulement défensif, il propose des relocalisations. Cela dit, Renault est plus qu’une entreprise, c’est un symbole pour beaucoup de Français. Une restructuration annoncée sans avoir associé au maximum toutes les parties prenantes a un effet de choc considérable.

 

Absence de planification stratégique

 

Si cette confusion dans la distribution des rôles est inquiétante pour l’avenir, le « plan automobile » fait apparaitre une carence plus grave : l’incapacité de l’administration française à faire de la « planification stratégique ». Un plan stratégique implique une analyse approfondie des marchés, des forces et faiblesses des entreprises concernées, avant de fixer des objectifs et les moyens concrets pour les atteindre, et en complément des indicateurs de résultats et un dispositif d’évaluation. Un tel processus associe le maximum d’acteurs, s’accompagne de confrontations, de débats et il ne saurait être secret. Il n’a rien à voir avec les « plans » concoctés à Bercy par quelques bureaux en liaison avec des milieux professionnels. Bercy sait parfaitement proposer des mesures immédiates dans des délais courts, mais il n’est plus équipé pour traiter le moyen terme. Des mesures éparses sont habillées de formules ronflantes du type « l’industrie est de retour » et sont baptisées « Stratégie ». D’autres « plans » de cet acabit sont annoncés pour la semaine prochaine : aéronautique, bâtiment.

 

L’inexpérience de tous dans une situation entièrement nouvelle serait une justification.

 

Le Président doit changer

 

Emmanuel Macron a indiqué qu’il allait changer. C’est le moment. Il ne peut continuer à présider en intervenant comme un « touche-à-tout » Dans la pratique de la Cinquième République, et non dans les textes, il peut délimiter son « domaine réservé » ; mais une fois délimité, il doit s’en tenir aux limites. C’est le moment d’expliciter comment seront élaborées les réformes à venir, sous quelles formes et dans quels délais. L’avenir ne saurait s’inventer par des improvisations « audacieuses » fabriquées dans le secret des administrations centrales. Si les processus ne sont pas clarifiés, des initiatives comme la Commission sur les grands défis économiques dégénéreront en gadget présidentiel. Le risque existe bel et bien pour ce comité d’où les fonctionnaires sont exclus et dont la mise en application des préconisations dépendra exclusivement du bon vouloir présidentiel.

 

C’est le moment aussi d’arrêter les appels à Jean-Marie Bigard et autres amuseurs publics, qui font penser que sa préoccupation principale est de neutraliser un éventuel Coluche qui gênerait sa réélection en 2022. Les Français peuvent accompagner un président porteur du redressement national mais sûrement pas un président obnubilé par sa réélection.

Si le Président ne change pas, beaucoup de Français auront peur pour leur pays.

 

Pierre-Yves Cossé

4 Juin 2020

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