Edito de Michel Destot & Journal de crise XVIII de P.Y Cossé

Cher(e)s ami(e)s,

Je vous laisse découvrir la chronique n°18 du Journal de crise de notre ami Pierre-Yves Cossé, que je veux vivement remercier pour sa production féconde et fidèle.

Ce texte a été écrit avant la formation du nouveau gouvernement et avant l’oracle présidentiel du jour de fête nationale.
Mais sans prendre trop de risques, nous pouvons imaginer pour ce 14 juillet une intervention élyséenne longue, comme toujours.
Nous pouvons imaginer que tous les mots-clés y seront, de l’écologie à l’Europe, en passant par la relance économique, la reindustrialisation du pays, la décentralisation et la solidarité à l’égard des plus touchés par la crise sanitaire. Bref, des jours heureux en perspective si nous respectons les préceptes présidentiels.
Et puis, mercredi, nous retrouverons, en nous frottant un peu les yeux, Jean Castex, Gérald Darmanin, Éric Dupont-MorettI, Roselyne Bachelot et les autres, en pensant que Nicolas Sarkozy n’est pas très loin de tout cela.

On ne pourra s’empêcher de se demander quel est l’objectif réel poursuivi: le redressement planifié du pays après cette tragédie sanitaire qui n’est d’ailleurs pas terminée ou la réélection en 2022, en s’assurant que la présidente du RN sera bien au 2ème tour, par réduction de LR à la portion congrue?
Je me souviens de 2017. C’est au soir du 1er tour, en apprenant la qualification de Marine Le Pen, que l’équipe d’Emmanuel Macron avait fait la fête.
15 ans plus tôt, la réaction préoccupée de Jacques Chirac m’avait semblé plus digne.

En 3 ans, la situation politique apparaît plus clairement. Les municipales, après les épisodes des gilets jaunes et de l’opposition au projet de retraite, ont révélé la perte de confiance du pays dans ses dirigeants. La majorité parlementaire n’est plus ce qu’elle était. Même les yeux des « mormons », écartés du pouvoir, se sont ouverts.
La démocratie devient directe, le pouvoir au Président, les opposants dans la rue!

IAG se doit de rappeler que l’honneur des politiques est de défendre des projets qui s’inscrivent dans le temps, de faire ce que l’on dit et de dire ce que l’on  va faire.
La responsabilité des opposants est de s’opposer en annonçant ce qu’ils feraient à la place de ceux qui gouvernent.
Pour la social-démocratie, 2022 doit se préparer dès aujourd’hui en termes de projets d’avenir et de choix d’un leader. Sinon, ce sera le tour de Yannick Jadot après celui de Benoit Hamon en 2017. Avec le même score final?
Il est permis de perdre une élection, fut-elle présidentielle, si elle autorise une espérance pour la suite, en termes de projet et d’incarnation.

Mes amis, nous n’en avons pas fini avec le combat pour nos convictions et nos valeurs.

Très bon été!

Avec mes pensées chaleureuses et fidèles,

Michel Destot

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Journal de Crise 18

TOURNANT ÉCOLOGIQUE ?

Rien ne sera plus comme avant, disent certains, et ils en trouvent la preuve dans les élections municipales qui ouvriraient l’ère de l’écologie. Le premier vainqueur dans plusieurs métropoles et quelques grandes villes gagnées par les écologistes et leurs alliés est le « dégagisme ». En 2020, ce sont les Marcheurs qui en sont les nouvelles victimes, sans qu’un retour aux « dégagés » de 2017, de droite et de gauche, soit évident. La colère populaire à l’égard des politiques a pris une coloration écologique, au moins en milieu urbain. Réjouissons-nous qu’elle n’ait pas profité à l’extrême-droite et regrettons que son pendant ait été une abstention massive. On ne pleurera pas le remplacement de « caciques » qui ont fait une élection de trop, comme à Lyon, par des responsables écologiques aux profils variés. Les expériences qui s’amorcent varieront selon les villes et la personnalité des nouveaux maires. Elles seront plus ou moins ambitieuses, soit des mesures partielles comme le « verdissement » (plantation d’arbres, espaces et artères vertes) les pistes cyclables, l’arrêt d’opérations contestées, soit une révision profonde des politiques d’aménagement, d’urbanisme, de logement, voire de l’énergie, dans une approche de démocratie participative. La limite sera principalement financière.

Obstacles politiques à l’échelle nationale

La transposition de ces succès à l’échelle nationale, donnant priorité à la lutte contre le réchauffement climatique, à la sauvegarde de la biodiversité et au renouvellement des équipes politiques n’est nullement acquise. Les obstacles à franchir sont élevés. Obstacle politique, un nouveau « programme commun » pouvant recueillir l’adhésion populaire entre des formations qui traditionnellement s’opposent (PS, PC, EELV, voire la France Insoumise) est nécessaire, d’autant que les solutions viables prêtent souvent à contestation. Autre obstacle politique, un accord sur LE Candidat écologiste à l’élection présidentielle alors que la proximité de l’échéance met à nu les ambitions personnelles et qu’aucun leader ne s’impose de façon évidente.

L’obstacle majeur est le contexte économique. La priorité écologique est-elle compatible avec la crise économique et sociale profonde, dans laquelle nous entrons ? Peut-on en même temps assurer la sauvegarde de l’emploi et financer la conversion écologique ? Dans un premier temps, le « tournant écologique » coûte : investissements massifs, notamment dans le domaine des transports, de l’énergie ou du logement.  À terme, ces investissements sont économiquement rentables et créateurs d’emplois. Mais « à terme » peut aller jusqu’à une dizaine d’années, surtout si les solutions ne sont pas immédiatement disponibles.

Les politiques publiques prioritaires ne seront pas écologiques

La priorité publique va rester l’aide au profit des secteurs les plus atteints et des populations les plus fragilisées (les jeunes), alors que la pression sociale, sous des formes qui pourraient être violentes, sera croissante. La seconde priorité sera la santé. Ces choix seront partagés par la grande majorité des salariés pour qui les seules urgences sont l’emploi et les salaires. La préoccupation écologique sera reléguée dans leur esprit à des temps meilleurs, alors que des limites à l’endettement public vont réapparaître.

Concrètement, l’acteur principal du « tournant écologique » dans les deux prochaines années est Emmanuel Macron et son principal collaborateur, Jean Castex. Le problème n’est pas de savoir s’ils ont la « fibre écologique », ce que contestent beaucoup d’écologistes, mais d’apprécier la marge de manœuvre dont ils disposent. Quel que soit le discours la marge est étroite.

L’annonce par le Président qu’il va mettre en œuvre les 146 propositions de la Convention citoyenne sur le climat, à l’exception de trois jokers n’est guère éclairante. Une fois passés les filtres du Parlement, des ministères, du Conseil d’État, voire du peuple (quoique les cent-cinquante citoyens tirés au sort ne s’apparentent guère à une expression populaire directe par la voie référendaire), on peut se demander ce qu’il restera des propositions initiales.

Des interrogations sur la Convention citoyenne

Avouons que la Convention suscite un malaise et des doutes, alors qu’a priori cette expérience d’intelligence collective concrète était novatrice et prometteuse. Certes, les citoyens ont beaucoup écouté, débattu, examiné mesure par mesure en commission, manifesté un goût du concret, recherché la précision et su conclure par des votes démocratiques. Ils n’échappent pas à la critique de faire la place belle à une écologie « punitive » et centralisée : interdire, réglementer de façon uniforme, taxer. Peu d’incitations et de suggestions tendant à modifier les comportements, sans lesquels les changements resteront superficiels ou seront rejetés. La convention s’est voulue rigoureuse, en préparant les textes juridiques (lois, décrets, arrêtés) permettant la mise en œuvre des mesures, tâche qui revient normalement aux administrations. La véritable rigueur eut été une évaluation économique et financière, coût et avantages, des mesures. La Convention ne disposait ni du temps ni des moyens pour mener à bien un tel travail, nécessairement complexe, qui implique des débats. On ne sait pas si les mesures proposées permettront d’atteindre l’objectif, réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 dans un esprit de justice sociale. Reconnaissons à décharge que pour cette première expérience de démocratie participative, à l’échelle nationale, l’on a choisi un problème éminemment complexe où une partie des solutions est à inventer.

À la lecture du détail des propositions, un doute affleure. La Convention n’aurait- elle pas été manipulée par ses experts, dont la présence était indispensable ? Par exemple, les tirés-au-sort proposent que pour le financement de la transition et des investissements soit créée une banque sous l’égide de la Caisse des Dépôts et Consignations et que soit modifiée la gouvernance de la CDC. Comment les citoyens ont-ils pu retenir des dispositions à caractère institutionnel aussi pointues, d’autres choix étant parfaitement possibles et valables ? L’excès de précision jette un doute sur l’ensemble de l’exercice.

Les variables décisives : Europe, Entreprises, Collectivités Locales et Citoyens

La marge de manœuvre pour la France, dans les prochaines années sera principalement déterminée par l’Union européenne. Si le Green Plan européen devient réalité et si un accord intervient au sujet d’une taxation du CO2 aux frontières, une étape écologique décisive sera franchie. Ce serait une incitation forte pour les entreprises – surtout les plus grandes – afin de réorienter leur développement et leurs investissements, dans le cadre de leur planification stratégique, qu’elles soient aidées par l’État ou non. Ce changement sera décisif, même s’il prendra du temps et si les contraintes de compétitivité et de rentabilité devront être respectées. A côté des entreprises, qui seront les agents principaux du « tournant écologique », les collectivités locales et les citoyens occuperont une place significative. Les sondages montrent qu’un nombre élevé de citoyens sont prêts à changer leurs comportements de consommateurs, de touristes et de travailleurs, jouant un rôle de leviers de changement, influençant les orientations des politiques et des entreprises.

Dans les deux prochaines années, la France peut entrer dans un tournant écologique mais elle en sortira beaucoup plus tard.

Pierre-Yves Cossé

6 Juillet 2020

 

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