Avec le départ de Michel Rocard, je perds un ami et un exemple de plus de quarante ans

MR MDL’annonce de la mort de Michel Rocard me bouleverse.
Il y avait entre nous « une complicité politique profonde de quarante ans, et une amitié confiante et vigoureuse ». Ces mots sont les siens, il les avait inscrits dans la préface de mon dernier livre. Ils sont bien sûr aussi les miens.
Puis-je dire que ce fut la plus belle rencontre politique de ma vie ?
Quelle fierté de l’avoir comme président d’honneur de mon club de réflexion « Inventer à Gauche », ultime prolongement à ses côtés de ce compagnonnage politique au sein de la « deuxième gauche » et de la social-démocratie réformatrice et européenne!

Mais quelle perte pour notre pays et pour l’Europe !

Socialiste de cœur et d’esprit, Michel Rocard a mené une vie de combats pour des idées. Comme Jean Jaurès, comme Pierre Mendès France, il aura marqué profondément la vie politique et l’histoire de notre pays, par la force de ses convictions et par sa stature morale.

Michel Rocard a été à peu près tout : haut fonctionnaire, inspecteur général des finances, chef de parti, élu local, national et européen, ministre et premier ministre. Et si beaucoup imaginaient pour lui une destinée présidentielle, il a été avant tout et jusqu’au bout un vrai militant, considérant qu’il ne pouvait y avoir de destin personnel sans destin collectif.

De son passage à Matignon, on retiendra nombre d’actions qui comptent encore de nos jours: le dénouement de l’imbroglio néo-calédonien, le Revenu Minimum d’Insertion, la Contribution Sociale Généralisée, la réduction du chômage, la décentralisation avec l’instauration des contrats État-Région…
Cette dernière mesure est d’ailleurs révélatrice de sa vision d’un socialisme lié à la qualité du cadre collectif et qui devait commencer « là où l’on vit, sur le terrain local ».

Au-delà des fonctions, on trouve l’homme qui, à chaque instant de sa vie, demeura chaleureux, débordant d’idées, doté d’un esprit inventif, ancré sur de solides compétences et porteur de morale dans l’action publique. Toutes ces qualités dans un seul homme ! Du rarement vu en politique…

Il a couru le monde, a été un défenseur acharné de l’Europe « première des espérances », un promoteur des investissements d’avenir, un précurseur sur les questions environnementales en tant qu’ambassadeur en charge des négociations internationales sur les pôles…
Michel Rocard s’est enthousiasmé pour toutes sortes de causes sur la voie d’une société plus juste et plus fraternelle.

Dans un accord constant entre l’action et les idées, rappelons que Michel Rocard a toujours beaucoup écrit, et plus encore parlé. Car pour lui, penser était une seconde nature. On avait aussi l’impression d’être un peu plus intelligent après l’avoir entendu, parce qu’il s’adressait à l’intelligence de tous, en ouvrant les consciences à tous les défis contemporains et mondiaux.

Idéaliste mais briseur des rêves porteurs d’illusions, impatient mais jouant toujours le long terme : cet homme exceptionnel aux subtils paradoxes a porté sa vision et ses espérances jusqu’à la fin de la vie. Encore tout dernièrement, malgré la maladie, il s’exprimait dans la presse avec ce devoir de vérité qui ne le quittait jamais.

Oui, Michel Rocard a fortement marqué notre pays, mais pas seulement !

Depuis les fameuses rencontres de Grenoble en 1966 où il avait été remarqué par Pierre Mendès France, Michel Rocard a marqué ma ville, Grenoble.
Avec son rapport précurseur « Décoloniser la province », avec son soutien au projet du Prix Nobel de physique Georges Charpak que nous avions rencontré ensemble, ou bien par son intervention résolue contre le triste discours de Grenoble prononcé par Nicolas Sarkozy… « Il le paiera et il l’aura mérité » avait-il alors lancé.
Je me souviens surtout, avec émotion, de sa présence aux municipales de 1995, lorsque nous avions été contraints de tenir meeting en extérieur, en plein jardin de ville, faute d’attribution de salle par la municipalité sortante. Quel moment fort, quel immense succès avec des milliers de Grenoblois venus l’écouter nous délivrer des messages de portée historique et planétaire à quelques jours du succès de la victoire de la gauche à Grenoble !

Aujourd’hui, je pleure un ami qui aura marqué ma vie, qui aura dévié mon parcours scientifique et professionnel vers mon engagement public, local et national.

En fidélité à sa vision universelle et d’avenir, il va falloir désormais se montrer de dignes héritiers de sa pensée et de son parcours exemplaires.

One Response to Avec le départ de Michel Rocard, je perds un ami et un exemple de plus de quarante ans

  1. Coriolan 5 juillet 2016 at 16:40 #

    Quel dommage qu’il n’ait pu se présenter en 1995 à la présidentielle laissée vacante par son vieux rival F.M.. Sa prise de la direction du PS en 1993, face à L. FABIUS, fut mal conseillée, car inutile, le Premier secrétaire sortant ayant reconnu qu’il était le candidat naturel du PS, et qu’il ne briguait pas la tête de liste aux européennes de 1994, pour l’avoir occupée en 1989. Voilà pourquoi les Inrockuptibles pouvait titrer: Rocard ne sera pas président.

    Son parcours ayant croisé celui du centriste Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER, se disant homme de gauche, anticolonialiste et européen convaincu, hostile au PCF (donc à l’Union de la Gauche), et mendésiste. Ami de sociaux-démocrates réputés comme Gaston DEFFERRE et Willy BRAND, ce contemporain aurait pu être son allié, alors qu’il se prononçait en 2007, avec Bernard KOUCHNER, pour une alliance au Centre avec F. BAYROU. Cette rencontre n’a pas eu lieu, c’est un rendez-vous manqué, on peut le regretter aujourd’hui.

    – Jean BOTHOREL. Celui qui voulait tout changer. Les années JJSS. (1924-2006). Robert LAFFONT.

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