L’exécutif a demandé à EDF d’augmenter le volume d’électricité nucléaire vendue à ses concurrents. Ce qui oblige l’entreprise à aller chercher sur le marché, au prix le plus élevé, des quantités qu’elle est hors d’état de produire, et de les vendre à perte.
Par Jean Peyrelevade (économiste, chroniqueur aux « Echos »)
Un gouvernement qui s’affiche comme sérieux peut-il faire n’importe quoi ? La réponse est malheureusement affirmative. Je fais référence à l’affaire EDF.
De quoi s’agit-il ? L’exécutif a annoncé le jeudi 13 janvier qu’afin de limiter la hausse du prix de l’électricité comme il s’y était engagé, il avait enjoint à EDF d’ augmenter le volume d’électricité nucléaire vendu à ses concurrents. Ce qui oblige l’entreprise à aller chercher sur le marché, au prix le plus élevé, les quantités correspondantes qu’elle est hors d’état de produire et de les vendre à perte. L’impact négatif sur les résultats du groupe sera de l’ordre de 8 milliards d’euros.
Pourquoi cette manipulation est-elle inacceptable ? Pour trois raisons que je vais décliner, par gravité croissante.
Charger EDF pour réduire le déficit budgétaire
La première concerne la sincérité des comptes publics. Au moment où se termine le « quoi qu’il en coûte », où Bercy commence à parler du rétablissement nécessaire d’une maîtrise de la dette, l’Etat, toujours soucieux du sort des ménages les moins favorisés et des entreprises les plus sensibles, affiche un effort total de 20 milliards d’euros pour limiter les effets de la hausse des prix de l’énergie. Il est pleinement légitime à le faire. Mais mettre EDF à contribution au lieu d’en supporter directement la charge permet artificiellement de réduire d’environ 0,3 % du PIB le déficit budgétaire 2022 et la dette publique correspondante. Les comptes publics sont donc faux.
Deuxième remarque, EDF a depuis 2004 le statut d’une société anonyme avec un conseil d’administration et un président-directeur général. Ce statut a donné la possibilité à EDF d’ouvrir son capital dans la limite de 30 % pour soutenir son développement (motif officiel). L’Etat possède aujourd’hui 84 % du capital, les actionnaires institutionnels ou individuels un peu moins de 15 % et les salariés 1,30 % d’une société cotée en Bourse. La décision du gouvernement a entraîné une chute immédiate du cours de l’ordre de 20 % : il n’est pas très courant qu’un actionnaire fabrique volontairement des pertes pour l’entreprise qu’il contrôle. EDF traité comme une simple tranche de l’appareil administratif et Bruno Le Maire faisant du Mélenchon, c’est plutôt inattendu !
La décision de l’Etat est inconstitutionnelle
Comment ne pas en déduire que la présence de l’Etat dans le capital de toute entreprise de droit privé sera désormais plus que suspecte ? Un coup très dur est ainsi porté à une forme d’économie mixte dont nous avons pourtant, en maintes circonstances, encore besoin. Mais surtout, la décision de l’Etat va à l’encontre de l’article 17 de la Déclaration des droits de
l’homme, et apparaît donc d’essence anticonstitutionnelle. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »
Certes, les actionnaires n’ont pas été privés de leur propriété, mais gravement lésés quant à sa valeur et cela, ô paradoxe, par un gouvernement et un ministre qui affichent volontiers leur amour des entreprises et des investisseurs. Cela devrait fournir aux porteurs de titres au minimum le moyen de plaider pour obtenir réparation, voire d’exiger le retrait de la Bourse d’EDF à une valeur qui compense le dol qui leur est infligé.
Ma dernière observation est la plus grave. Le même gouvernement et le même ministre ont porté en 2018 au Parlement une loi dont ils sont très fiers, la loi Pacte . Peut-être faut-il rappeler comment l’article 1833 du Code civil a été réécrit à cette occasion ? Il comporte désormais deux phrases. La première, inchangée : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. »
Cette démarche est contraire à la loi Pacte
Ai-je besoin d’insister sur l’adjectif « commun » et de critiquer le fait que l’Etat se considère comme le seul dépositaire de l’intérêt de l’ensemble des associés (auquel cas il vaut mieux effectivement faire sortir les autres actionnaires) ? La seconde phrase est celle qui signe ce qui est considéré comme l’un des progrès majeurs apportés par la nouvelle loi. « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
Pourquoi est-ce un progrès ? Parce qu’elle implique que les organes de gouvernance de l’entreprise, conseil d’administration, direction générale, management, doivent prendre leurs décisions non pas au seul regard des intérêts des associés (première phrase), mais au nom de l’intérêt social de l’entreprise (deuxième phrase), et en tenant compte des aspects sociaux (donc, notamment, des salariés) et environnementaux.
Certes, il existe entre les deux phrases une ambiguïté qui peut, dans certains cas, devenir une contradiction. Mais la résoudre en donnant à l’actionnaire de contrôle le pouvoir de décider seul, sans consultation de la société concernée, de ses instances de gouvernance et des représentants du personnel et des salariés, actionnaires ou pas, est la pire des solutions puisqu’elle revient à nier la démarche même qui a fondé l’écriture de la loi Pacte.
Les administrateurs d’EDF doivent démissionner
Comment sort-on de cette situation surréaliste ? Conformément à la loi, la responsabilité tant individuelle que collective des administrateurs est engagée. D’après les statuts mêmes d’EDF : « Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en oeuvre, conformément à son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Il définit les grandes orientations stratégiques, économiques, financières ou technologiques de la société. »
La décision de l’Etat est une négation brutale du rôle du conseil et des administrateurs : ils ne servent à rien, sinon à servir, le cas échéant, d’alibi. Ma conviction personnelle est qu’ils n’ont qu’une réponse possible : la démission collective.
Jean Peyrelevade est économiste et chroniqueur aux « Echos »
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