« Socialistes : que s’est-il passé ? quel avenir ? » par Robert Chapuis

Socialistes : que s’est-il passé ? quel avenir ?

Avril 2017 : mettons- nous à la place de l’électeur socialiste. Le président qu’il avait élu en 2012 a décidé de ne pas se représenter. Sa légitimité avait été contestée dans son propre parti, puisqu’il était contraint de se présenter à des primaires. Celles-ci ( la Belle Alliance Populaire !) se sont transformées en un mini-congrès du Parti socialiste avec quelques comparses. L’homme à battre, à défaut du président, était son ancien premier ministre. Il a été battu. Restait le frondeur, Benoît Hamon. Il a présenté un programme de rupture dont les socialistes n’avaient guère débattu. Certains l’ont trouvé intéressant. Beaucoup l’ont trouvé en décalage avec la situation du pays et l’état du monde. Le candidat du parti ne correspondait pas à l’électorat socialiste. Les électeurs de gauc se sont divisés entre ceux qui voulaient donner ses chances au « réformateur » venu de la gauche Emmanuel Macron et ceux qui soutenaient une alternative « révolutionnaire » Jean-Luc Mélanchon. D’autres se sont abstenus, quitte à voter Macron au second tour face à Marine Le Pen.

Selon la logique présidentielle, les législatives ont donné une forte majorité à La République en marche ( LREM ). Une trentaine de socialistes ont sauvé leurs sièges ; ils constituent un groupe à l’Assemblée nationale sous le nom de Nouvelle Gauche. Le Parti, lui, s’est mis en position d’attente dans une opposition bougonne au gouvernement d’Edouard Philippe. Il y aura une « feuille de route » à l’automne et un Congrès au printemps 2018.

Voilà les faits. Comment les expliquer ?

Soyons quelque peu schématiques. En France la droite et la gauche se sont affrontées et donc définies autour de deux problématiques essentielles : les rapports entre l’Eglise et l’Etat et les rapports de classe dans le système productif. Les radicaux privilégiaient les premiers, les communistes les seconds. Les socialistes représentaient une synthèse en étant à la fois d’ardents défenseurs de la laïcité et de fervents avocats de la cause ouvrière. Ce furent les marqueurs de la gauche au 20ème siècle. En raison de leur position, quand la gauche emportait les élections, les socialistes étaient au cœur du gouvernement : avec Léon Blum en 1936, avec Guy Mollet au temps de la 4ème République (non sans contradictions…), avec François Mitterrand sous la 5ème. Désormais l’élection présidentielle obligeait à l’union de la gauche et constituait ainsi un « peuple de gauche » qui se confondait dans le discours avec le peuple lui-même. Le développement des partis populistes, à gauche comme à droite a changé la donne. Pour eux il s’agit de mobiliser le peuple contre les élites de gauche comme de droite. Leur influence a grandi au point qu’il s’en est fallu de peu que l’on assiste en mai dernier à un deuxième tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélanchon.

Après de Gaulle, les partis « classiques » se sont disputé le pouvoir, créant ainsi une sorte d’alternance dans un même régime, au risque d’une confusion entre la droite et la gauche dans l’exercice du pouvoir. Au surplus ils se sont divisés en leur propre sein en se définissant les uns comme la vraie gauche, les autres la vraie droite face à ceux qui trahissaient leur camp ! On comprend que l’électeur ait été quelque peu désorienté et qu’il se soit réfugié dans l’abstention ou le vote populiste…..

Il s’était ainsi créé un entre deux de droite et de gauche ou si l’on préfère ni de gauche, ni de droite qui a été habilement occupé par Emmanuel Macron. Venu de la gauche il a réussi à s’imposer à une partie de la droite dans le souvenir d’un de Gaulle qui se voulait au dessus des partis. Dés le départ il avait été accompagné par nombre de militants ou de sympathisants du Parti socialiste qui ne voyaient plus en François Hollande un candidat crédible pour 2017. Le président leur a donné raison et la campagne de Benoît Hamon ne les pas convaincus de revenir au bercail. Le Parti socialiste a cessé d’être au centre de la gauche comme de la vie politique et sa confusion avec ce qui restait du parti des Verts a achevé de le décrédibiliser en tant que tel. La « social-écologie » a pris la place de la social-démocratie. On connaît le résultat.

Comment préparer l’avenir ? La boussole est déréglée : peut-on la réparer ? S’agit-il de refaire la gauche ou de réaffirmer les valeurs du socialisme ? Pour les socialistes l’un ne va pas sans l’autre, mais de quoi parle-t-on ? quel socialisme dans quelle gauche ?

En 1991, André Gorz commence son ouvrage intitulé « Capitalisme, socialisme, écologie » par ces mots : « En tant que système, le socialisme est mort. En tant que mouvement et force politique, il agonise ». Il en tirait un certain nombre de conséquences sur lesquelles nous reviendrons.

Disons d’abord que pour certains le socialisme est mort à partir du moment où il se résigne à n’être qu’une social-démocratie. C’est un terme que revendiquent les partis du nord, mais il répugne aux partis du sud. En 1920 la majorité de la SFIO lui a préféré le terme de « communisme »,plus clairement marxiste et anti-capitaliste, sans concession à l’égard du marché. Ce terme est remis à l’ordre du jour par La France insoumise, qui en revendique la propriété à l’encontre même du Parti communiste officiel. Notons au passage qu’un terme voisin est apparu sous la plume de certains intellectuels : « le commun », mais la référence au bien commun ne suffit pas pour définir une politique. Le communisme, lui, a l’intérêt, mais aussi l’inconvénient d’avoir une histoire. Il implique dans tous les cas Le renforcement des pouvoirs de l’Etat, un Etat-nation la plupart du temps depuis la disparition de la IIIème Internationale. On nous dit que le stalinisme fut une perversion du communisme. N’en est-il pas plutôt une résultante ? On l’a vu avec Cuba, on le voit aujourd’hui avec le Vénézuela. La Chine en est un autre exemple, plutôt paradoxal. Elle met l’Etat au service du marché pour l’utiliser à ses fins, sur le plan extérieur comme sur le plan intérieur. Une conclusion s’impose : un socialiste n’est pas un communiste. Il conçoit l’Etat comme un régulateur et non comme un administrateur. Il entend dépasser la nation dans un ensemble capable de porter une même civilisation, celle de l’humanisme des Lumières.

André Gorz poursuivait son constat en disant du socialisme : « Tous ses buts naguére proclamés sont périmés. Les forces sociales qui le portaient sont en voie de disparition. Le socialisme a perdu sa dimension prophétique, sa base matérielle, son « sujet historique »…., la classe ouvrière ». Condamnant par là même toute référence au communisme, il appelait de ses vœux une orientation politique nouvelle, celle de l’écologie. En Allemagne, les Verts en ont été et en restent la meilleure expression. En France, les partis « écologiques » se sont divisés en multiples chapelles et ont perdu toute crédibilité politique. Ils n’ont représenté une force réelle que lors de l’élection européenne où Daniel Cohn-Bendit a conduit une liste Europe-Ecologie-les Verts (EELV). Ils avaient obtenu près de 15% des voix. En 2017 Cohn-Bendit a soutenu la candidature d’Emmanuel Macron…L’orientation écologique se situe davantage dans une sorte d’économie des marges : l’économie sociale et solidaire, les circuits courts, le commerce équitable, la sobriété heureuse…, un anti-capitalisme à la base. C’est un mode de vie, pour une part un mode d’action, mais le socialisme peut-il se réduire à une morale plus une économie. N’a-t-il plus de sens politique ?

Dans son livre André Gorz soulignait d’ailleurs que le terme de socialisme garderait du sens tant que le capitalisme gouvernerait le monde. On peut penser que c’est à travers la social-démocratie qu’on peut y parvenir. Encore faut-il le démontrer.

Telle devrait être la tâche des socialistes aujourd’hui dans cette période où ils sont éloignés en tant que tels du pouvoir, mais où ils peuvent influencer le cours des choses et reconstituer leurs forces pour d’autres échéances.

Robert Chapuis

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