Réflexion sur le coronavirus par Jean-Jacques (2e partie) : le virus et la politique 

Un choix délétère.

Le choix du confinement total s’est imposé à nous comme s’il était évident.
Il n’en est rien.

Le confinement massif est une réaction, qui a l’avantage de la simplicité et de la lisibilité, et met tout le monde en situation d’égalité. Sur un plan politique, cette mesure permet à tous de se sentir concernés, de faire comprendre la gravité de la situation, et est aisée à mettre en œuvre. Par ailleurs elle donne un peu de temps pour avoir plus de données (compte tenu du fait qu’il est aujourd’hui évident que la Chine n’a communiqué que des données partielles et pour certaines délibérément falsifiées) et préparer la suite. C’est une réaction d’émotion, sans doute indispensable à partir du moment où la situation menaçait de devenir insoutenable pour l’opinion publique. Le Royaume Uni et Singapour, qui avaient espéré y échapper, y ont finalement eu recours.
Le cas de Singapour est intéressant car il a tenté la stratégie de confinement ciblé. Mais l’existence de foyers d’infection disséminés, notamment dans les dortoirs des travailleurs pauvres et immigrés, a créé des foyers de dissémination qui on fait craindre une augmentation de cas hors de contrôle, et les a aussi contraints d’entrer en confinement fort.l
Le confinement est la sanction de l’échec des mesures plus modérées : elles ont échoué parce  qu’il n’y en avait pas assez (pas de tests, pas de masques, pas d’appli de traçage) ; parce qu’on regardait ailleurs (Trump, Johnson) ; parce qu’on avait sous-estimé la nécessité de mobiliser par exemple en obligeant tout le mode a porter un masque, fût-il artisanal (France, Singapour). Il faut en tirer les leçons, afin que le dé-confinement soit un succès.

Mais c’est un choix qui sacrifie le long terme au court terme.
La Corée, la Suède (voire les Pays-Bas) font un choix différent. La distanciation sociale permet éventuellement de ralentir assez l’épidémie pour que tous les cas graves puissent être soignés, mais dans le cas contraire on assume qu’il y aura des morts surnuméraires. En échange on ne bloque pas l’économie, on ne compromet pas l’avenir des jeunes, on ne crée pas une grande dépression qui entraînera son cortège d’années de vie perdue (suicides, misère, alcoolisme et autres addictions, etc.).
On me dit « il est scandaleux de sacrifier des vies au profit de l’économie », cela traduit simplement la méconnaissance fondamentale du fait que l’économie façonne la vie de nos concitoyens, et que cela fait des années que des économistes ont mesuré le prix, en années de vie perdues, d’une dépression économique. Le cas de la crise grecque après 2008 est maintenant bien documenté : +23% de suicides, +28% d’homicides, +20% d’héroïnomanes, +50% de personnes infectées par le VIH, +24% d’hospitalisations (toutes causes confondues) +43% de mortalité infantile. Mais les effets à long terme sont moins bien connus (impact de la fragilisation de la santé induite par la malnutrition et le renoncement aux soins), quoique certains.
Il est vraisemblable que la crise économique qui résultera de deux mois de confinement et de fortes restrictions pendant des mois (voire d’un retour au confinement) lors de la reprise d’activité serait du même ordre de grandeur que la crise grecque (qui a perdu 25% de son PIB de 2008 à 2016).
La Suède, peut-être demain l’Allemagne, ont décidé de minimiser non pas le nombre d’années de vie perdues par le Covid, mais celles perdues par le Covid et par la dépression dans les 10 années qui suivront.
Les morts de la dépression comptent autant que celles du Covid.

La crise du COVID est donc une crise médiatique et métaphysique, elle semble remettre en cause notre « Weltanschauung » : les morts à l’hôpital surchargé sont visibles et font de bonnes séquences télévisées ; ils rappellent une réalité insupportable, à savoir notre fragilité ; ils créent des héros auxquels nous pouvons nous identifier, les soignants ; ils nous donnent mauvaise conscience, car ce sont les vieux qui meurent, eux que nous ne voulions pas voir, et que nous avions relégués dans des hospices. Il nous insupportable de penser que l’on puisse mourir bêtement, c’est à dire d’une maladie, même lorsqu’on est vieux et malade. Alors que pendant ce temps, 48000 morts de pollution, ou pire, le nombre de morts de cancer du poumon nous laisse indifférents, parce qu’ils sont diffus, et que cela fait longtemps que les médecins sont habitués à faire des choix de non-réanimation face à des cancers du poumon…
Le rôle des médecins dans la perception de la crise est majeur : tout se passe comme si leur discours « il est inacceptable de nous demander de faire une médecine de guerre » (sous entendu qui consiste à choisir qui on soigne en fonction du nombre d’années de vie de qualité qu’on peut espérer préserver) avait été accepté comme un impératif politique. Or ces médecins, quel que soit leur admirable dévouement, n’ont pas de légitimité politique et en outre leur discours est tendancieux, pour ne pas dire faux. Tous les jours des médecins, dans tous les pays du monde font de tels choix : qui participera à tel éssai thérapeutique ? Qui parmi les 50 victimes d’un gros carambolage de retour de weekend aura une place dans l’hélicoptère ? Qui sera admis en réanimation ? Ne pas faire ces choix s’appelle de l’acharnement thérapeutique.

Et si on regardait vraiment les conséquence de ce qu’on fait ?
Il faut que les politiques, éclairés par les épidémiologistes, reprennent la main sur les médecins.
A aucun moment le bilan avantages-inconvénients de cette décision n’a été présenté aux citoyens (sauf en Suède, et maintenant en Allemagne, où il est débattu ce qui semble donner raison une fois de plus à Max Weber) : alors que le moindre dossier d’investissement de sécurité routière se fonde sur une valeur de la vie d’un français de 3 MEUR, les morts du Covid devraient être limitées « quoiqu’il en coûte » ?

Un économiste suédois calculait récemment dans Le Monde que l’épidémie pourrait faire 70000 morts en Suède et coûter 460 000 années de vie : cela veut dire que l’espérance de vie des personnes décédées n’excédait pas 6,5 années en moyenne (l’espérance de vie à la naissance des suédois est de plus de 82 ans) et que la réduction d’espérance de vie moyenne des 10 000 000 de suédois résultant de ces 70000 décès serait de 15 jours…

On nous impressionne tous les soirs avec le chiffre des morts (sans qu’on sache exactement lesquels sont comptés ou pas) qui atteindra bientôt 20000 : mais il meurt 610 000 personne en année normale en France, et une part significative des morts du Covid seraient décédés dans l’année du fait de leur comorbidité, de sorte que tous ces décès ne sont pas des morts supplémentaires. La pollution atmosphérique tue en France 48000 personnes par an (et à peu près les mêmes que le Covid) : a-t-on jamais envisagé le confinement pour réduire ce nombre de morts?

Il ne s’agit pas de nier qu’en termes humains et sociaux une telle épidémie est un drame: si nous prenons les statistiques coréennes et qu’on suppose que 60% de la population doit être contaminée pour atteindre l’immunité collective, nous y perdrions de 10 à 20% des septuagénaires et octogénaires (selon l’intensité du pic, et même si on peut largement minimiser ce bilan en sanctuarisant les Ehpad et des lieux de vie pour personnes fragiles), et dans les classes actives de 1 à 2 % des sexagénaires (toutes les autres classes d’âge connaîtront vraisemblablement des mortalités de l’ordre de quelques unités pour mille). Mais dans le pire des cas le Covid fera en un an les mêmes dégâts sur la même population que la pollution atmosphérique en 5 à 8 ans et on n’a jamais décidé de provoquer une crise économique pour réduire la pollution : alors soyons cohérents !
Pour en revenir aux médecins : il faut que la communauté médicale soit consciente que le choix qui lui est offert pourrait bien être entre la médecine de guerre maintenant et pendant un an ou la médecine de pays pauvre pour les 20 ans qui viennent : regardez l’état des hôpitaux grecs.

Éthique
Par bien des côtés cette épidémie pose des problèmes éthiques majeurs : contrairement à la grippe espagnole, statistiquement elle tue les vieux et épargne les jeunes (évidemment il y a des contre exemples mais statistiquement non significatifs, surtout si on prend en compte la contamination différentielles puisque grâce aux tests coréens on sait que les 20/29 ans sont la classe d’age la plus contaminée). Elle tue également, dans une moindre proportion des populations médicalement fragiles: au lieu d’en tirer la conclusion que cette crise oblige a isoler autant que faire se peut les populations âgées et fragiles, on continue a confiner tout le monde, et ce faisant à détruire l’avenir de nos enfants.

Le choix du confinement de toute la population pour des périodes longues,au risque d’une dépression aussi dramatique, voire pire, que celle de 1929, est celui de priver nos enfants d’avenir pour donner quelques années de plus à nos parents ou grands parents. Et cela alors même que la crise économique et ses conséquences sont certaines et la probabilité d’arriver à épargner les personnes âgées est incertaine (cf les EHPAD)
Faut-il voir un lien entre le fait que ce choix n’ait même pas été discuté et le fait que les classes d’age les plus âgées sont celles qui concentrent l’essentiel du patrimoine français, et une proportion significative du pouvoir politique?
Faut-il ajouter que l’espérance de vie étant liée à la CSP ce sont les fractions les plus aisées de la population qui ont le plus a perdre au Covid et le moins à perdre à la crise économique?

On peut aussi remarquer que sacrifier le bien être des générations jeunes ou à venir au bénéfice de celles qui ont connu les trente glorieuses est aussi ce que nous faisons en matière climatique…est ce un hasard ?

Pour simplifier à l’extrême : Le choix du confinement total est un choix qui sacrifie les jeunes (futurs) pauvres au bénéfice des vieux riches. Qu’il ait été pris dans l’émotion est humain, qu’il ne soit pas remis en question pose un problème éthique.
Sinon cela veut dire que nous sommes devenus une oligogérontocratie.

Et à l’étranger ?
En Chine la politique de gestion de la crise (passé la phase de déni) a consisté à sacrifier la population du Hubei pour éviter à tout prix que la contagion ne gagne Pékin (et dans une moindre mesure Shanghai ou Guandzhou), où se concentre l’élite politique et économique du pays. 11 semaines de résidence surveillée imposée au provinciaux de Wuhan n’a posé de problème à aucun décideur du PCC, mais aurait-on fait de même à Pekin ?
Bien au contraire, tout arrivant d’une autre province à Pekin était astreint a une quatorzaine obligatoire, ce qui à ma connaissance n’a été imposé dans aucune autre ville.

Aux USA, l’état fédéral a largement négligé le traitement de l’épidémie: faut-il voir un lien avec le fait que le milieu dans lequel vit Mr Trump et toute l’élite politique de Washington recourt aux hopitaux privés où, en y mettant le prix, ils sont sûrs d’être soignés, et avec le fait que le Covid fait un nombre disproportionné de morts parmi la population modeste d’origine afro-américaine (à risque du fait de son état de santé lié à la malnutrition et la difficulté d’accès aux soins), c’est à dire l’électorat le plus traditionnellement démocrate ? Heureusement un certain nombre d’États prennent le relais de l’État fédéral défaillant pour définir leur politique de santé.

Le Royaume Uni, (enfin, Boris Johnson), fidèle à sa politique de déni et de mensonge éhonté, a commencé par négliger totalement le péril. (D’autre gouvernants l’ont fait, mais, sauf Trump, pas avec autant de mauvaise foi ; ils avaient l’excuse de ne pas avoir de recul, l’Italie n’ayant qu’une semaine d’avance sur la France, et la Chine n’ayant fourni que des informations douteuses). Il a fallu qu’il réalise que la classe dominante, et en particulier le milieu politique et le gouvernement, était à risque pour considérer qu’il n’avait d’autre choix que de décréter le confinement total.

Rien ne dit que ces stratégies vont réussir: de même que Singapour a été rattrapé par son propre aveuglement sur les conditions de logement de ses travailleurs immigrés, Pekin sera peut-être ravagé par la prochaine vague du Covid, les riches américains vont peut-être s’apercevoir que même les hôpitaux qui leur sont réservés sont saturés, mais à l’évidence chaque politique nationale cherche à préserver ceux qui incarnent le pouvoir politique et économique plutôt qu’un impératif de santé publique objectif (par exemple le nombre d’années de vie perdue sur un horizon de 10 ans)

Face au Covid il vaut mieux être riche et influent politiquement (et rester en bonne santé) que pauvre et provincial (et finir malade).

Et que fait-on maintenant ?
Le moins qu’on puisse dire est que, hormis la date (provisoire) du 11 mai, nous n’avons pas de vue sur la stratégie post-confinement.

Une sortie à la coréenne nécessiterait des tests massifs : ce n’est apparemment pas prévu.

Une stratégie d’immunité naturelle acquise par la fraction jeune de la population pour protéger les plus de 65 ans et les personnes fragiles est possible. Certaines annonces du PR pouvaient laisser penser que c’était le choix fait. Il faudrait pour cela confiner au-dessus de 65 ans et les personnes à risques (en utilisant pour cela les hôtels vides, afin d’éviter d’avoir dans le même foyer une personne libre de circuler, potentiellement contaminante, et une personne à risques). Les jeunes sans facteur de risques n’ayant besoin de réanimation que dans une proportion de l’ordre du 1 pour mille, cette stratégie ne sature probablement pas les capacités de traitement, même avec des mesures de distanciation sociales moins efficaces qu’en Corée. Mais il ne reste que 20 jours pour mettre cela en place. Et rien ne semble vraiment bouger, ni du côté des lieux de confinement ni surtout du discours à la population.
Au lieu d’expliquer que cette stratégie consiste à demander aux jeunes en bonne santé de se sacrifier pour donner l’immunité collective, qui sera acquise au prix de leur maladie, à la nation et en particulier aux personnes âgées et fragiles, on a réussi a faire croire à ces personnes que c’était une mesure discriminatoire à leur encontre ! Et quand elles ont commencé à protester, au lieu de les détromper on explique que leur confinement ne sera pas obligatoire ! Cela seul condamne cette stratégie à l’échec.

Alors que veut-on faire ? Gérer l’économie en « stop and go » au vu du nombre de patient en réanimation pendant 2 ans en attendant un hypothétique traitement ou vaccin
Il n’est plus temps de choisir entre les morts et la dépression économique : nous aurons les deux : mais il est encore temps de dire comment on veut réduire l’impact global des deux

Jean-Jacques, Dirigeant d’entreprise
17 avril 2020

One Response to Réflexion sur le coronavirus par Jean-Jacques (2e partie) : le virus et la politique 

  1. duchaffaut 20 avril 2020 at 14:12 #

    très interessante cette analyse très peu « politiquement correcte…

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