Réflexions sur la pandémie CoViD 19 et quelques évidences
un billet d’humeur et d’humour, éditorial dans une revue scientifique, du Professeur Jean-Paul Stahl, infectiologue au CHU de Grenoble-Alpes
Avril 2020
Les crises, en l’occurrence sanitaires, sont toujours l’occasion de faire ressortir le meilleur et le pire des sociétés.
Quelques réflexions sur le pire sont nécessaires, car les sujets interpellent.
- Le nombre d’infectiologues, virologistes et épidémiologistes français a été boosté de façon instantanée, et quasi miraculeuse, et notre corporation est très fière de constater cet intérêt soudain. De nouveaux experts se sont ainsi manifestés : responsables politiques de tous bords, syndicalistes, journalistes et bien d’autres se sont senti investis d’une mission subite et d’une compétence auto-proclamée irréfutable.
Ainsi tel maire, tel(le) responsable de parti politique ou encore tel footballeur a remplacé au pied levé l’Agence du médicament pour indiquer les prescriptions médicamenteuses idoines ou sommer les autorités de délivrer un médicament qui, à coup sûr, va être la panacée, qui va résoudre cette crise émergente et complexe, dans laquelle bien des inconnues demeurent. Une autre série de conseils prodigués à la va-vite et de la part de non-spécialistes s’est fait fort de nous expliquer comment il fallait faire pour nous en sortir au mieux. Il faudrait appliquer une liste de mesures, non exhaustive car laissée à leur imagination : fermer les frontières (la Corée du Nord en France), tester toute la population (tout le monde tous les jours, sinon on va rater des cas), masquer tout le monde (avec quels masques, voir plus loin), traiter tout le monde (avec quoi ?), il aurait fallu confiner plus tôt (quand il y avait 2 patients à Paris et 8 en Haute-Savoie, tous bénins ?). Nous sommes dans l’univers magique d’Harry Potter. Il a son charme. La réalité hélas comprend bien plus de dimensions et s’appréhende avec recul et une vue globale de la situation, des options possibles et de leurs conséquences.
- Certains utilisent, en toute irresponsabilité, cette crise comme un vecteur d’affichage de leur ventripotent ego et de leurs revendications particulières ou corporatistes, y compris hors du champ médical. Twitter et BFM TV (parmi d’autres plateaux) remplacent le New England Journal of Medicine. C’est un formidable pied de nez aux élites, pauvres hères, qui n’aspirent « basiquement » qu’à des preuves validées avant de lancer la population à l’assaut des pharmacies. C’est le Grand Soir scientifique, le micro-trottoir au pouvoir. Là encore, la seule conséquence possible est de troubler les messages adressés à nos concitoyens. Ce n’est plus Harry Potter car ce n’est pas magique, mais une série Z hollywoodienne.
- Cette crise n’était pas préparée, mais « je vous l’avais bien dit ». Les prédicateurs de la 25ème heure n’ont pas attendu cette 25ème heure pour entamer un procès. Ils oublient, ou font semblant d’oublier, ce qu’est une émergence : la survenue, souvent brutale, quoique pas obligatoirement, d’un phénomène nouveau et imprévisible. Quel expert ou non-expert avait imaginé au tout début que l’épidémie atteindrait cette ampleur ? Aucun. Et il faut bien avouer qu’à un moment ou à un autre, ne pouvant contrôler, tels des dei ex machina, les actions entreprises dans les pays tiers, nous ne pouvons que suivre et anticiper au mieux, avec trop peu de temps pour nous organiser au regard de la vitesse de dissémination de ce virus jusque-là inconnu. Nous apprenons au rythme de l’épidémie, il faut le constater en toute humilité.
- Le masque est devenu l’objet symbole des angoisses (justifiées), des revendications (plus ou moins justifiées) et des colères de tous bords (spectaculaires comme toujours). Et comme il faut un responsable c’est, au choix, le gouvernement ou les experts ou les deux. Et si on se posait la bonne question ; et si on avouait que nous sommes tous responsables en recherchant à toute force le prix plus bas, pour nos chemises comme pour notre nourriture, et la santé n’y échappe pas, avec pour conséquence la délocalisation vers les pays « moins disant » et, par voie de conséquence, des difficultés majeures en matière d’approvisionnement en cas de crise.
Et si nous étions tous responsables pour avoir un temps vilipendé les achats de masques dans une pandémie précédente (il y a tout juste 10 ans) dont les premiers rapports étaient alarmants. Des millions de masques sont utilisés chaque semaine en ce moment. Il aurait donc fallu en stocker des milliards pour satisfaire les besoins. Tout cela pour un épisode qui survient, pour l’instant, une fois par siècle. Est-ce bien raisonnable de soutenir ce raisonnement ? Et en ces temps de compétition internationale, doit-on s’étonner que des intermédiaires rachètent sur le tarmac des aéroports, les livraisons destinées à un pays, à 3 ou 4 fois le prix initial ? C’est vraiment un thriller hollywoodien.
Aucun de nous n’avait proposé de quadrupler le nombre de lits disponibles en réanimation en France, avec le personnel dédié, en les laissant inoccupés dans l’attente du besoin qui se manifeste aujourd’hui, juste au cas où.
On ne parle évidemment pas du besoin légitime de fonctionnement normal des services hospitaliers en temps ordinaire.
Il serait bien que ceux qui ont anticipé tout cela se manifestent, car ils méritent la reconnaissance de la Nation. Mais attention, il y aura un jury de sélection pour vérifier la réalité des allégations.
Il semble, plus sérieusement, qu’un peu d’humilité et de responsabilité de la part de beaucoup soit la bienvenue.
Pendant ce temps, loin des polémiques et de l’expertise de salon, des soignants, des experts, des chercheurs, des bénévoles travaillent silencieusement sans faiblir et sans repos. Qu’ils soient ici salués pour leur engagement et leur probité.
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