Le COVID-19 : une crise non anticipée !
Jean-Pierre Zarski, ancien président de la CME du CHU de Grenoble-Alpes
Avril 2020
Les épidémies et les pandémies semblaient impossibles à envisager de nos jours tant l’impression était grande que nous maitrisions les infections depuis longtemps grâce à l’usage en particulier des antibiotiques et des antiviraux. Toutefois chaque jour mouraient dans le monde, en particulier en Asie et en Afrique, des jeunes atteints de maladies infectieuses qui n’avaient pas accès à un système de santé efficace.
Quelques grands penseurs prédisaient la survenue de tels phénomènes comme Bill Gates aux États-Unis, il y a près de 5 ans. Chacun d’entre eux s’accordait à penser que cela partirait de Chine, là où cohabitent sur des marchés hommes et animaux sauvages, les Chinois ayant pour coutume ancestrale de consommer ces derniers.
Nous avions eu quelques alertes en particulier avec le H1N1 mais la pandémie ne s’était pas produite et les mesures de précaution prises en France alors jugées excessives s’étaient avérées efficaces.
Il faut reconnaître que les premiers signaux d’alerte provenant de Chine n’ont pas été pris au sérieux, ce d’autant qu’ils ont l’habitude de masquer leur propre réalité. Le médecin qui a tiré l’alarme le premier est malheureusement mort de la maladie. De plus nous n’étions pas prêts dans de nombreux pays occidentaux à mettre en place les mesures de prévention et de protection (masques, gants, blouses et sur-blouses) que ce soit pour le personnel soignant (médical et paramédical) ou pour les malades graves atteints d’un syndrome de détresse respiratoire aigüe en réanimation. De ce fait les discours de nos responsables médicaux et politiques n’ont cessé d’évoluer depuis 2 mois.
Parmi nos pays voisins et de tailles comparables, seule l’Allemagne s’était mieux préparée. Outre leur culture de la rigueur et de l’organisation, ils avaient effectué une répétition grandeur nature en 2018 et disposent de 3 à 4 fois plus de lits de réanimation. Leur budget consacré à la politique de santé est pourtant inférieur.
Pendant cette période, nous devons saluer nos capacités de mobilisation, notre flexibilité pour accroitre le nombre de lits disponibles et la prise en charge d’un nombre toujours croissant de malades. Nous devons aussi saluer l’engagement exceptionnel de notre personnel soignant, pourtant parfois bien démuni face à cette crise sanitaire.
Nous devons maintenant réfléchir sur les changements indispensables de notre système de santé. Les politiques consistant depuis plusieurs années à réduire le nombre de lits dans les hôpitaux doivent cesser pour faire place à une vraie réflexion concernant l’offre de soin publique et privée. Le plan « Ma santé 2022 » avait de bonnes intentions mais d’une part, il n’a pas réellement été mis en place à ce jour, et d’autre part, il est insuffisant. Il faudra donc augmenter dans un futur proche le nombre de lits, surtout en Médecine, en raison du vieillissement de la population, des soins à apporter aux populations fragiles, du développement des pathologies chroniques, ce donc pour faire face aux futures épidémies. L’attractivité des carrières hospitalières et hospitalo-universitaires devra aussi être repensée. Le secteur médico-social nécessitera une attention particulière ainsi que les EPHAD qui sont très dépourvus face à cette épidémie et dont l’organisation devra être repensée. Les relations ville/hôpital restent aussi insuffisantes. On ne peut pas tout miser sur l’hôpital public et il faut redonner aux médecins généralistes la place qu’ils méritent. A côté des médecins généralistes, il faut développer un corps de professionnels de santé tels les infirmières d’annonce et de pratique avancée en capacité de prendre le relai pour les prises en charge simples et le suivi des pathologies chroniques. Enfin les pharmaciens ont une place importante dans ce maillage territorial en raison de leurs compétences spécifiques (médicaments et interactions médicamenteuses, dépistage et gestes simples tels la vaccination). L’inégalité d’accès aux soins sur le territoire est criante. On va s’apercevoir très vite que le nombre de malades atteints du Covid-19 est beaucoup plus important dans les banlieues pauvres (en particulier dans la grande couronne parisienne, en Seine-Saint-Denis par exemple), là où le confinement est difficile à mettre en œuvre, que dans les centres-villes et les banlieues riches. Des politiques spécifiques devront être mises en œuvre dans ces territoires. Au total, un effort important devra être accompli pour mieux mailler entre eux les différents professionnels de santé publics et privés ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Il est aussi important de dire que la France est un pays où le curatif l’a toujours emporté sur le préventif. Ainsi la lutte contre l’alcool, le tabac, les vaccinations ont toujours été des combats difficiles à mener et en partie perdus. La médecine scolaire et la médecine du travail sont les parents pauvres de nos politiques de santé. Il en est de même pour l’hygiène qui est en ce moment au premier plan. Il faudra donc dans l’avenir renforcer la politique de santé publique et la pratiquer de façon volontariste dès l’âge scolaire et bien sûr dans les populations précaires et migrantes.
En 2020, l’information et la communication ont considérablement changé. Cela s’aggrave en période de crise. Il en ainsi dans tous les domaines, et donc aussi en matière médicale. Les scientifiques vont devoir s’adapter même si la rigueur est de mise et que seules des études contrôlées permettent de démontrer l’efficacité d’un médicament. On ne pourra pas toujours attendre les résultats d’une étude parfaitement conduite et finalisée, c’est-à-dire publiée en période d’épidémie pour conclure à l’efficacité d’un traitement. Il faudra être capable de donner des résultats intermédiaires à l’aide des statisticiens pour répondre au plus vite aux questions posées. De même il est indispensable d’harmoniser au mieux les réponses aux questions des journalistes sous peine d’aboutir à une cacophonie nuisible et anxiogène pour la population. Des réunions régulières des sociétés savantes devraient permettre un consensus et une harmonisation des réponses.
La France comme les autres pays affronte une crise sanitaire grave sans précédent récent. Comme beaucoup – mais pas tous ! – elle s’y est mal préparée et gère les problèmes au fil de l’eau. Elle devra en tirer toutes les conséquences et réformer entièrement son système de santé sous peine de voir ressurgir les mêmes problèmes à chaque nouvelle épidémie. Elle devra aussi maitriser ses ressources industriels (matériel, médicaments) pour ne pas dépendre trop des pays asiatiques.
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