Les défis posés aujourd’hui à des populations désemparées par une mondialisation incontrôlée et l’absolue nécessité de lutter contre le réchauffement climatique exigent un sursaut de mobilisation publique ; et tout concourt à penser que c’est dans une alliance entre les Etats et les villes que prendra corps l’efficacité collective tant attendue. Pour ce faire, il faut des Etats visionnaires et résolus, et des villes totalement maitresses de leurs destinées. Sur ce plan, les responsables locaux peuvent se prévaloir d’une vision claire et précise sur les besoins de leurs concitoyens ; ils sont en outre fermes dans leurs résolutions et leur action, mais jouent dans la France d’aujourd’hui avec les mains liées dans le dos par des entraves toujours plus contraignantes. C’est le grand paradoxe de la France de Macron : on laisse des pouvoirs décentralisés de plus en plus grands aux acteurs d’un capitalisme aveugle et égoïste, mais on fait de moins en moins confiance à ceux qui ont témoigné dans l’histoire de leur dévouement désintéressé à la collectivité. Il faut remettre au plus vite de l’ordre dans la hiérarchie des pouvoirs économiques et politiques car les défis deviennent urgents. Et cela signifie pour les villes encore plus de décentralisation et d’efficacité dans la bataille contre les inégalités économiques, sociales et environnementales.
Trois défis majeurs donc : la prospérité économique, les dérèglements sociaux et le réchauffement climatique.
Prospérité économique d’abord, car sans prospérité, pas de moyens pour assurer la qualité de l’environnement et la cohésion sociale. L’urbanisation, considérée comme une dimension du développement, a deux faces : celle de l’accumulation des richesses et celle de la concentration géographique des difficultés pour les responsables publics. La concentration urbaine comporte bien des avantages économiques et sociaux, pour le niveau et la qualité de vie de ses habitants. C’est dans les grandes métropoles que l’on trouve en général une offre artistique diversifiée et de qualité, les meilleures occasions de contacts, les sièges sociaux d’entreprises, les avocats et les médecins les plus réputés. Les villes opèrent aujourd’hui dans un monde de concurrence pour les talents, les capitaux et les initiatives et le rôle des responsables locaux est considérable, autant pour offrir des services publics de qualité que pour entraîner les énergies autour d’une vision positive et favorable à l’investissement et à la croissance. Ils ont besoin du maximum de moyens juridiques et financiers pour donner à chaque territoire toutes les chances de valoriser son potentiel.
Le social ensuite. Les déséquilibres sociaux les plus graves ne sont pas entre le rural et l’urbain, ce qu’une tradition française veut laisser croire, mais au sein des villes elles-mêmes. Derrière l’apparente richesse de nombre de villes françaises, se cachent des inégalités sociales croissantes. La nouvelle économie urbaine produit encore plus qu’avant des villes duales, avec une ségrégation spatiale et culturelle croissante entre des cadres hautement qualifiés et rémunérés, les bénéficiaires de la mondialisation, et un nouveau prolétariat tertiaire, comprenant largement aujourd’hui des classes moyennes aux statut
social réduit et au pouvoir d’achat à la dérive. Les inégalités dans la capacité à se loger et l’internationalisation des marchés immobiliers des grandes villes tendent à accentuer les contrastes sociaux et spatiaux. Certes, les villes françaises connaissent une ségrégation plus faible que les villes anglo-saxonnes mais les tendances actuelles sont préoccupantes. Les politiques publiques nationales de contrôle de la ségrégation et des inégalités urbaines ne font plus l’objet du même consensus en raison de la limitation des moyens budgétaires.
Environnement enfin. Les villes sont les principaux lieux d’émission de gaz à effets de serre, mais elles constituent aussi le meilleur échelon territorial pour lutter contre le réchauffement climatique. Les villes sont doublement concernées par les enjeux climatiques : comme sources de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre et parce qu’elles sont les principales menacées par le réchauffement climatique et ses manifestations, élévation du niveau des eaux, vagues de chaleur. Le niveau national peine à prendre les mesures financières et réglementaires qui s’imposent, comme le montrent les épisodes des « bonnets rouges » et des « gilets jaunes » et les réponses les plus efficaces d’aujourd’hui relèvent plutôt d’échelles locales. L’empreinte carbone dépend en effet de l’offre de transports publics, de la tarification des transports individuels et des règles d’urbanisme pour assurer une plus grande densité des activités et des populations, source de réduction des gaz à effets de serre.
Ceci milite en faveur d’un forte mobilisation des acteurs publics pour assurer la prospérité à long terme, lutter contre le réchauffement climatique, et corriger les défaillances du marché, ses dérives sociales et son approche insuffisamment tournée vers les besoins du long terme. Il s’agit d’une alchimie redoutable. Mais la mondialisation a entraîné une perte de pouvoir des autorités publiques sur leurs territoires, et notre pays a retrouvé depuis deux ans un tropisme centralisateur, alors que c’est au contraire de plus de pouvoirs et de moyens locaux dont nous avons besoin.
Michel Destot Président d’IAG
Jean-Claude Prager membre du bureau IAG
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