JOURNAL DE CRISE XII – Le nouveau monde

 

Le Nouveau Monde

L’aspiration à un monde nouveau, promis par Emmanuel Macron, sera forte dans l’Après-Crise. La tentation de se barricader, de se constituer en « Etat-Forteresse » pour satisfaire cette aspiration se manifestera sous des formes variées. Une telle voie est une impasse.

L’urgence est au social

D’une part, les vulnérables, les chômeurs et autres personnes sans ressources n’attendront pas que se construise peu à peu un monde nouveau. Ils voudront des emplois et des revenus tout de suite dans le monde tel qu’il est, avec ses institutions et ses lacunes. Ils sont prêts à changer leurs habitudes, par exemple dans le domaine des loisirs, voire à modifier leur mode de vie, tenant compte de l’acquis de crise, télétravail, téléenseignement, télémédecine mais ils ne sont pas prêts à manquer du strict nécessaire. La paix sociale est en jeu l’échéance de quelques mois.

« On n’arrête pas le capitalisme »

D’autre part, fermer les yeux sur le monde qui nous entoure serait suicidaire. Le capitalisme mondialisé est toujours présent. Comme il l’a montré dans le passé, il est capable de s’adapter. Ecoutons sur ce point Trump : « on n’arrête pas le capitalisme »

Le risque est réel, surtout si l’on a en mémoire le passé. Nous avons été aveugles devant la montée de nouvelles puissances principalement asiatiques (Inde, Coréedu Sud) et surtout de la Chine. Depuis les années 80, le monde se recompose, les pays occidentaux, dont l’Europe, déclinent, avec la complicité de pays ex-colonisés qui ont une revanche à prendre sur les puissances impériales.

Une recomposition du monde ignorée

Cette recomposition engendre un déclin économique relatif et progressif. Les hommes politiques, suivis par les médias, ont considéré que les citoyens- électeurs étaient incapables de comprendre et d’accepter. Il eut fallu expliquer et en tirer les conséquences : admettre des reconversions accélérées, développer la recherche et l’innovation, refonder le pacte social en associant les salariés et leurs représentants à la direction des entreprises, mettre en place une politique des revenus. Enfermée dans son ignorance du réel, la classe politique a refusé des contraintes qui auraient pesé sur tous, chefs d’entreprises et syndicats compris. Elle a préféré gagner du temps en dissimulant et en décollant du réel.

Une sous-estimation des progrès chinois

Elle a cherché à minorer le phénomène. La Chine serait incapable de fabriquer des produits à forte valeur ajoutée et de maitriser les secteurs d’avenir, qui resteraient le monopole des vieux pays industriels. C’était sous- estimer le rival et concurrent. Le rattrapage s’est opéré à une vitesse foudroyante. La Chine s’est imposée dans le complexe, avec des prix bas, une qualité comparable et des financements apparemment avantageux pour ses clients. L’exemple le plus spectaculaire pour la France est celui des centrales nucléaires. A partir de la coopération avec la France, la Chine fabrique des centrales qui, en 2020, fonctionnent mieux que les nôtres et qui sont proposées sur le marché mondial. On pourrait citer aussi les exemples du TGV et de l’espace.

La préférence donnée au consommateur

Une argumentation faussement rassurante s’est répandue. Ce qui importe dans une démocratie, c’est la satisfaction du client- consommateur, désireux de s’approvisionner à bas prix pour tous les produits possibles, quel que soit le pays d’origine. Cette préférence est devenue un dogme à Bruxelles, le « libre marché » étant l’alpha et l’oméga de la politique économique et les obstacles au libre-échange l’ennemi à combattre.

L’argumentation a été complétée en France. L’industrie peut se passer d’usines, la fabrication est sous-traitée à l’étranger, restent les tâches « nobles » recherche, conception et marketing. L’avenir est au tertiaire, oubliant qu’une grande part des gains de productivité, et donc de l’enrichissement, se fait dans l’industrie, que des territoires et notre souveraineté technologique seraient menacés.

Autre argument spécifiquement français : la reconnaissance précoce par le Général de Gaulle de la Chine nous donnerait des droits et ouvrirait la porte à de grands marchés. Dans les années 60, cette reconnaissance avait un prix pour une Chine qui n’avait pas encore trouvé sa place dans les enceintes internationales. Cet avantage n’a pas été exploité. La récolte a été maigre et le déséquilibre commercial n’a cessé de croître. En 2020, c’est l’Inde qui est le partenaire privilégié de notre diplomatie.

Faible efficacité de la régulation mondiale

La modération des appétits du « monstre » a été recherchée par des règles. La Chine est devenue membre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avec l’illusion que le « doux commerce » conduit à la démocratie. La Chine a augmenté rapidement ses échanges, contourné un certain nombre de règlementations et de normes et exploité les carences du dispositif, par exemple les investissements directs d’entreprises chinoises subventionnées par les pouvoirs publics et non régulés.

A la recherche de boucs-émissaires

Cette même France politique a cherché des boucs-émissaires, expliquant les succès chinois. Le premier a été l’espionnage économique chinois organisé et systématique, que personne ne peut nier et les infractions à la règlementation des brevets. La Chine fait ce qu’ont fait tous les grands pays, avec plus de professionnalisme. Le Royaume-Uni a « volé » le thé à la Chine et le caoutchouc. La France a dérobé les secrets des premiers métiers à tisser anglais. Les Etats-Unis ont beaucoup « emprunté » aux Anglais et l’espionnage soviétique a réalisé des exploits dans le nucléaire. On peut penser que les progrès fabuleux de la Chine ont davantage été obtenus dans le cadre de transferts technologiques imposés aux entreprises occidentales à travers des joint-ventures ou des gros contrats. La fascination exercée par le marché chinois est un levier puissant.

Pour la gauche, le bouc-émissaire a été le capitalisme financiarisé, qui la dispensait de regarder ailleurs et de se féliciter, en tant qu’internationalistes, des plusieurs millions centaines de millions de Chinois sortis de la pauvreté. Elle a dénoncé Wall-Skeet et les banques comme les responsables de la crise économique, des inégalités croissantes et de la stagnation des salaires. Il est vrai que la financiarisation n’est pas sans liens avec la recomposition du monde et la montée de Chine. Du fait d’une concurrence accrue, une pression plus forte s’est exercée sur les salaires, le rapport de forces a évolué au détriment des salariés et les Etats ont apporté un soutien accru aux grandes entreprises. Faisant moins de profits dans les secteurs industriels traditionnels, les capitalistes se sont tournés vers le tertiaire et les activités financières, où la règlementation est souple, les rentes et rémunérations plus élevées. Ce n’est pas l’avidité des capitalistes qui s’est accrue- c’est une constante- Ce sont les changements survenus dans le monde qui ont remodelé le capitalisme.

Une Croissance ralentie mais durable

La classe politique a espéré que le phénomène perdrait progressivement de son dynamisme, comme cela a été partiellement le cas pour le Japon. La machine ralentirait ou se bloquerait d’elle-même. Déjà la montée rapide des salaires a réduit la compétitivité-prix, mais la relève est déjà assurée par d’autres pays, notamment ses voisins (Vietnam) La pollution croissante dans les grandes villes et de manière pus générale l’environnement obligent à imposer des normes, à transférer des usines, voire à ralentir certaines productions. Le mouvement est réel mais lent, comme le montre la persistance de la production charbonnière. Des troubles sociaux et des conflits entre centre et périphérie ne sont pas à exclure, si les avantages acquis par les Chinois (niveau de vie, liberté de déplacement) étaient menacés. Ils sont imprévisibles, comme dans tous les pays où la société est encadrée par un parti unique. Miser sur les troubles ou sur une décomposition serait risqué et irresponsable, aucun pays n’ayant intérêt à l’apparition d’une crise grave et durable dans la seconde économie du monde, même les Etats-Unis.

Le coronavirus pourrait au contraire donner une nouvelle impulsion à l’économie chinoise. Certes des reproches graves sont adressé aux dirigeants chinois, dissimulation pendant près d’un mois de la transmission interhumaine du virus et traitement infligé aux premiers médecins qui ont révélé la situation. Ils ont un caractère durable. Ce n’est pas demain que le président Xi Jinping sera populaire dans le monde comme un Kennedy. Peu importe pour le président chinois. Il a fait la preuve de l’efficacité de la médecine chinoise et de son système, depuis le décryptage du génome et les multiples communications dans les revues scientifiques internationales jusqu’à la sortie apparemment rapide de la crise même si les chiffres sont minorés et les méthodes autoritaires contestées.  Par sa diplomatie sanitaire agressive et ses exportations de matériel médical, le président s’est fait de nouveaux obligés (Pakistan), voire de nouveaux « amis » Serbie, Italie. La production et les exportations repartent, moins rapidement qu’il ne l’affirme mais plus rapidement que dans les autres pays.

La croissance sera moins spectaculaire qu’hier, mais ce marché croissant de plusieurs centaines de millions de citadins continuera d’attirer un grand nombre d’entreprises occidentales. Des entreprises, qui avaient été rebutées par l’absence d’état de droit prendront le risque chinois.

Cette marche en avant peut être freinée par les Etats Unis, fermant son marché aux entreprises technologiques comme Huawei, elle ne peut être arrêtée. La régulation internationale ne pèsera guère. Le gendarme, l’Organisation des Règlements Internationaux, est paralysé. L’ONU et ses institution spécialisées (OMS) sont de plus en plus subvertis par une Chine qui places ses hommes, achetant, s’il le faut, les votes de pays financièrement dépendants. Aux valeurs affichées par la charte des Nations Unies, les dirigeants chinois opposent avec succès leurs propres conceptions des droits de l’homme, de la démocratie et de la souveraineté des Etats. Quant à l’Europe, rien ne permet de croire pour l’instant qu’elle soit prête à présenter un front unique, qu’il s’agisse des investissements directs ou de la relocalisation des activités. Les intérêts des différents pays restent divergents. Des relocalisations en Europe se feront progressivement, en petit nombre, du fait d’une insuffisance de capitaux propres de nombreuses entreprises et parfois d’un manque de savoir. Elles perturberont les chaines de valeur sans les détruire.

Cette marche peut être chaotique, si l’agressif Xi Jinping veut, sans attendre, mettre sous sa coupe Hong-Kong et Taiwan. L’Occident oubliera comme il a oublié Tienen mem.

Pour la Chine, « le monde nouveau » est déjà présent, c’est le sien, qui est appelé à s’étendre. Au stade actuel, la consolidation de ses positions, doublée de prétentions hégémoniques, progresse comme « la route de la soie.

Le Monde Nouveau de Trump

Pour les Etats Unis, le monde nouveau, c’est le renforcement de l’existant : un capitalisme américain dominant le monde, favorable aux géants, et plus cartellisé. Les chiffres absolus ne doivent pas induire en erreur. Les Etats- Unis sont moins atteints par Covid-19 que l’Europe. Le confinement est plus court et moins strict que dans d’autres pays européens.  La montée du chômage est spectaculaire et des activités sont durablement atteintes, constructions aéronautiques, transports aériens, sociétés pétrolières (pétrole de schiste) A côté Les gagnants sont nombreux et puissants, les GAFA, l’informatique et les télécommunications, la grande distribution. Le démarrage de l’économie américaine va être rapide et le chômage baissera aussi vite qu’il est monté. Les problèmes du financement ne se poseront pas avec le dollar, devise mondiale, et les 2 000 milliards injectés par la FED dans le système financier (son bilan a augmenté de 65% en quelques mois) cinq fois plus que la BCE. Les géants ne seront guère importunés par la lutte contre les cartels, l’existence de géants chinois étant leur meilleure protection.

Le Décrochement de la France ?

La France sort du COVI- 19 plus affaiblie que ses voisins de l’Europe du Nord. Le confinement a été plus strict et plus long, elle a dépensé plus, elle est plus endettée.  Elle ne peut prétendre à elle seule inventer une nouvelle mondialisation et une nouvelle Europe. Si elle se met à l’écart, elle décrochera, s’éloignant encore plus de l’Allemagne, glissant dans le camp de l’Europe du Sud et l’Europe espérée d’Emmanuel Macron s’évanouira.

Cette limitation n’est pas synonyme d’une paralysie politique. La marge d’action existe : démocratisation des institutions, lutte contre les inégalités, croissance verte, priorité aux investissements sociaux, sécurité accrue dans tous les domaines, qualité de vie. C’est un programme ambitieux impliquant une large mobilisation.

Notre redressement peut être une rénovation, à condition d’être modeste et réaliste.

Pierre-Yves Cossé

7 Mai 2020

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