Assemblée générale de IAG : rapport de Alain Bergounioux

BergouniouxLes défis du socialisme français

La situation du socialisme français est aujourd’hui préoccupante et paradoxale. Au printemps 2012, le Parti socialiste avait tout gagné, l’élection présidentielle et les élections législatives dans la foulée, alors qu’il dirigeait, déjà, une majorité de municipalités, de départements, de régions – ce qui s’était traduit, pour la première fois, par l’élection d’un Président socialiste au Sénat. A l’été 2015, la situation est tout autre. Il est à la peine électorale. Surtout, ce qui est encore plus préoccupant, est le changement que ces élections révèlent dans le paysage politique français. L’affirmation du Front national, à un haut niveau électoral – il est arrivé en tête des élections européennes – fait passer d’un système politique caractérisé par un multipartisme bipolaire, où le Parti socialiste, à gauche, et l’UMP, à droite, dominaient leur camp respectif, à un tripartisme électoral, où si les Républicains, maintenant, et le Parti socialiste sont les deux principaux partis susceptibles d’incarner une alternance au pouvoir, face au Front national désormais, le premier tour de l’élection présidentielle, en tout cas, celle de 2017, peut servir à départager le parti ou la coalition de partis qui l’affrontera au second tour. Aujourd’hui, les élections locales intervenues montrent que le risque est surtout pour le Parti socialiste –d’autant plus que la gauche, dans son ensemble, avec les écologistes d’Europe Ecologie Les Verts et le Front de gauche, qui regroupe essentiellement le Parti communiste et le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, est historiquement faible – elle a regroupé moins du tiers des voix aux élections européennes et un peu moins de 37 % au premier tour des élections départementales, et elle est, qui plus est, fortement divisée sur des questions essentielles.

Comment comprendre la rapidité de cette évolution ? Tient-elle seulement aux trois années difficiles d’exercice du pouvoir écoulées ? Et, alors, faut-il y voir la logique des élections intermédiaires jouant à plein contre les partis au pouvoir, démobilisant leurs électorats, remobilisant ceux de l’opposition ? Ce fut le cas pour l’UMP de Nicolas Sarkozy  dans le précédent quinquennat, et, plus loin de nous, pour Valéry Giscard d’Estaing en 1976 et 1977, et pour François Mitterrand en 1983… Ou y-a-t-il des causes plus lointaines et plus structurelles ? Le constat, en effet, a été fait, depuis 1981, date de l’arrivée des socialistes au pouvoir sous la Vème République, qu’ils n’ont pas pu remporter deux élections nationales de suite – François Mitterrand a été, certes, réélu en 1988, mais il avait perdu les élections législatives de 1986. Poser la question, en ces termes, laisse penser qu’il y  des deux. Mais, encore faut-il déterminer la part exacte des phénomènes.

En fait, depuis 1981, le Parti socialiste n’a cessé de s’interroger sur sa politique et son identité – comme les autres partis socialistes, sociaux-démocrates, travaillistes en Europe, avec plus ou moins de force, l’ont fait dans la mesure où, depuis la fin des années 1970, les conditions des « compromis sociaux » établis après la seconde guerre mondiale ont été remises en cause avec la mondialisation et les transformations profondes qu’ont connues nos sociétés, dans toutes leurs dimensions, économique, technologique, sociale et culturelle. Le Parti socialiste français a voulu éviter une révision idéologique et politique d’ampleur compte tenu de la division de la gauche française. Mais, aujourd’hui, il se trouve devant une double exigence – qu’il ne peut pas éluder : il doit se redéfinir comme socialiste et comme organisation, dans une opinion qui le considère, par trop, comme un « parti du système » qui n’a plus d’identification claire. Ces deux tâches doivent être menées de concert dans des années où les socialistes exercent les responsabilités gouvernementales. C’est évidemment une difficulté supplémentaire. Les « reconstructions » s’opèrent plus facilement dans des périodes d’opposition ! Mais, malgré tout, le temps est venu de commencer à le faire pour éviter une crise plus grave.

Avant d’analyser plus profondément la situation présente, il est utile d’avoir à l’esprit les caractères propres du socialisme français. Le socialisme français s’est évidemment inscrit dans le mouvement d’ensemble du socialisme européen tel qu’il s’est structuré, peu à peu, dans le derniers tiers du XIXème siècle, menant une critique du capitalisme, qui, quelles qu’ont été les différences entre les partis nationaux, amenait à penser que la socialisation des moyens de production et d’échange était la solution pour mettre un terme à l’injustice et à l’irrationalité portées par l’économie et la société capitalistes. En lien plus ou moins étroit avec les syndicats, une défense efficace des intérêts de la classe ouvrière a amené les partis socialistes à entrer dans la lutte politique et électorale. Les partis continentaux, pour la plupart influencés par le marxisme, en particulier le parti social-démocrate allemand, alors le « parti phare » du socialisme européen, ont maintenu une perspective révolutionnaire qu’ils voulaient pacifique- comment Jaurès l’a défendue. Mais, dans la pratique, devant les réalités sociales, ils ont défendu un « programme minimum », pour étendre les libertés politiques et syndicales, pour forger un droit du travail, pour bâtir une protection sociale. L’après première guerre mondiale a fait de la plupart de ces partis des partis de gouvernement, et les effets de la crise de 1929, là où ils n’avaient pas succombé sur les coups du fascisme, essentiellement dans l’Europe scandinave et en Angleterre, les a amené a s’identifier, de plus en plus clairement, comme des partis réformistes attachés à réguler le capitalisme – l’horizon du « programme maximum » devenant davantage un objet de rhétorique plus qu’un réel projet politique.

Le socialisme français a vécu les débats et les combats du socialisme européen. Mais son développement – son « code génétique », comme le dit le politologue italien Angelo Panebianco- a été marqué par trois traits majeurs : le fait que les socialistes ont milité dans une société qui s’est industrialisée et urbanisée lentement, où la classe ouvrière a été minoritaire ; le fait que le suffrage universel (masculin) a été introduit précocement, en 1848, et que la République ait préexisté à la Constitution des partis socialistes ; le fait que le mouvement syndical ait été influencé par l’anarcho-syndicalisme et ait manifesté une volonté d’indépendance par rapport aux partis. Tout cela explique que le socialisme français n’ait pas pu se couper de la gauche Républicaine et a eu une identité double, socialiste et républicaine, qui l’a contraint, à la fois, à mener une lutte incessante pour se distinguer de la gauche républicaine sous peine de perdre sa spécificité et à revendiquer l’héritage républicain pour ne pas demeurer isolé dans la société française. L’affirmation d’un Parti communiste –trois-quart des adhérents de la Section Française de l’Internationale Socialiste (SFIO), lors de la scission en 1920, firent scission pour aller fonder la Section Française de l’Internationale Communiste –compliqua le problème pour les socialistes pendant de longues décennies. Le Parti socialiste, sous différents vocables, la SFIO, puis, encore davantage, le Nouveau Parti socialiste après 1969 et le Parti socialiste après 1971, a d’emblée été un parti inter-classiste, dirigé principalement par des intellectuels et des membres des professions libérales pour la plupart, puis, par de hauts fonctionnaires aujourd’hui, et, de plus en plus, par des élus ou des collaborateurs d’élus locaux. Ce qui, pour les socialistes, a été, longtemps, une faiblesse, face au Parti communiste, qui a représenté une part de la classe ouvrière jusque dans les années 1980, avec une base sociale composite, a pu, cependant, être une force dans les dernières décennies du XXème siècle, en permettant de mobiliser plus aisément des catégories sociales ascendantes dans le salariat non manuel, tout particulièrement dans les fonctions publiques. Le mode d’implantation du socialisme n’est pas passé par l’entreprise, mais par les collectivités locales, le « socialisme municipal », qui lui a donné une assise durable – même dans les périodes difficiles politiquement. Sa perte d’influence, aujourd’hui, dans l’électorat populaire, les catégories d’ouvriers et d’employés, est une donnée préoccupante et qui mérite d’être précisément analysée. Car, le recul socialiste dans le vote populaire ne résulte pas que de déceptions conjoncturelles. Il est important d’avoir en mémoire que le Parti socialiste n’a jamais bénéficié d’un vote ouvrier important. C’est le Parti communiste qui a pu, un temps être un « parti » de la classe ouvrière. Et l’affaiblissement de la gauche dans les catégories populaires tient surtout au déclin du parti communiste dans les mêmes catégories.

Le socialisme français n’a eu ainsi ni la culture, ni la structure des partis sociaux-démocrates européens. Il a vécu sur un équilibre doctrinal précaire – formulé, initialement, par Jean Jaurès – entre la réalité du réformisme et l’aspiration révolutionnaire. Jusqu’au début des années 1980, il a du prouver sans cesse sa légitimité vis-à-vis du Parti communiste – qui dans les années 1970, représentait encore plus de 20 % de l’électorat et contrôlait la Confédération Générale du Travail, le premier syndicat français. Il a également du veiller à son unité, car le parti socialiste lui-même regroupait diverses tendances de la gauche à la droite et a connu plusieurs scissions à l’occasion de graves crises politiques. L’unité n’a pas été une donnée simple pour tous les dirigeants successifs du Parti socialiste. Les « exercices » du pouvoir – pour reprendre l’expression de Léon Blum – ont donc toujours été malaisés, au moment du Front Populaire, à la Libération et dans la guerre froide, en 1956 avec le gouvernement de Guy Mollet, dans la crise algérienne, qui s’est terminée par une scission en 1958 au moment du retour au pouvoir du Général de Gaulle et de l’instauration de la Vème République. Quand les socialistes ont refondé leur mouvement, en 1971, sous la direction de François Mitterrand – après dix années tumultueuses – ils l’ont fait, à la fois, dans une logique traditionnelle, avec un programme d’Union de la Gauche, regroupant le Parti communiste et le Mouvement des radicaux de gauche, voulant établir les bases d’une économie en partie socialisée, avec, notamment un fort contingent de nationalisations, et les outils d’une politique économique d’inspiration keynésienne, mais aussi, dans une approche moderniste, avec l’acceptation d’un régime politique semi-présidentiel, qui faisait du Parti socialiste un parti de gouvernement, et, enfin, une approche sociétale favorable aux aspirations individualistes d’une « société d’abondance », telles qu’elles s’étaient manifestées en 1968. Portés par des évolutions sociales favorables, dirigés habilement par François Mitterrand, dans l’union de la gauche puis dans la désunion après l’automne 1977, bénéficiant du discrédit grandissant du communisme soviétique, les socialistes se sont installés comme le parti dominant de la gauche française dans les années 1970.

La victoire de 1981 a ouvert un nouveau cycle dans l’histoire du socialisme des français, celui d’être durablement un parti de pouvoir – alors que les exercices précédents sous sa responsabilité directe avaient été courts, entre un et deux ans seulement. Le processus qui se déroule du printemps 1981 au printemps 1983 a décidé de son cours pour les décennies suivantes : des avancées sociales importantes – la retraite à 60 ans particulièrement – mais, également, des déficits budgétaires inquiétants, un commerce extérieur déséquilibré, une faiblesse persistante du franc. Le choix effectué par François Mitterrand, finalement, de demeurer dans le système monétaire européen et de mener une « politique de rigueur » a traduit un changement de priorités par rapport aux années 1970. L’attention des gouvernements socialistes s’est désormais portée autant sur la stabilité des prix et la maîtrise des coûts de production pour préserver la compétitivité de l’économie que sur la politique de la demande. La croissance économique devenant plus faible, la redistribution des revenus moins aisée et le coût de la protection sociale plus élevée, les deux piliers du modèle socialiste depuis 1945 ont été fragilisés : le plein emploi et la redistribution. La volonté, l’année suivante, d’approfondir la construction européenne, et la mise en œuvre ultérieure du « Marché unique », sous la responsabilité de Jacques Delors, Président de la Commission européenne de 1985 à 1995, ont relevé d’un projet de retrouver au niveau européen, les marges de manœuvre qui n’existaient plus suffisamment pour l’Etat national. Mais, cette intégration européenne, renforcée par le Traité de Maastricht en 1992, et encore plus, par l’instauration de l’euro, à la fin de la décennie a achevé d’atténuer les différences, avec la social-démocratie européenne – même si le Parti socialiste français a toujours sa spécificité.

La mise au point d’équilibres difficiles entre les politiques économiques et les politiques sociales a été alors le lot des exercices du pouvoir qui ont suivi. Les gouvernements socialistes, en effet, sont fortement dépendants des dynamiques de l’économie capitaliste. Chacun, cependant, s’est efforcé à accroître le progrès social, le Revenu minimum d’insertion en 1988, avec le gouvernement Rocard, la réduction du temps de travail et la Couverture Maladie Universelle, avec le gouvernement Jospin, en 1997 et 1998. Mais, tous se sont inscrits dans le cadre d’une « désinflation compétitive », ont réalisé des privatisations, partielles ou totales, d’entreprises publiques et ont eu tendance à réduire la fiscalité sur le capital. La priorité a été de défendre plutôt un « modèle social », mais non de définir, véritablement, une nouvelle doctrine économique – les politiques suivies ont été ainsi des politiques mixtes intégrant nombre de mesures libérales. Une autre constante des politiques socialistes a été de privilégier parallèlement une politique de libertés nouvelles dans le droit de la famille – le gouvernement Jospin a institué le Pacte d’Union civile, celui de Jean-Marc Ayrault, le « mariage pour tous » – et d’accorder un investissement prioritaire dans l’éducation et la recherche. Parmi les pays européens, la France a le niveau relatif le plus faible dans les inégalités de revenus – mais les inégalités de patrimoine ont augmenté comme ailleurs et, surtout, les phénomènes de ségrégation sociale et les inégalités territoriales ont cru sans que les mesures pour les banlieues et les périphéries urbaines aient pu inverser la tendance.

Le même schéma s’applique, pour l’essentiel, aux deux premières années qui ont suivi la victoire électorale du printemps 2012. Mais les difficultés se sont révélées plus graves que dans les périodes précédentes. Elles ont mis en évidence les faiblesses du socialisme dans la société française depuis les années 1990. Il faut, d’abord, souligner que le vote du 6 mai 2012 pour François Hollande, n’a pas été principalement un vote d’adhésion mais, pour beaucoup, un vote de rejet contre Nicolas Sarkozy, le Président sortant, avec un total des voix de gauche ne dépassant pas 43,5 % des suffrages exprimés au premier tour – gauche, qui plus est divisée, le Front de gauche refusant d’entrer dans la majorité gouvernementale avant même que tout décision fut prise. Et peut-être, surtout ce vote a été celui d’une société de crise où domine le pessimisme et une défiance vis-à-vis de l’action politique menée par les partis de gouvernements. Le programme du candidat socialiste – marqué par les effets de la grande crise financière de 2008, avançait une volonté de régulation du système financier, une réorientation de l’Union européenne en faveur de la croissance, une égalisation de la fiscalité entre le capital et le travail, la création d’emplois publics, l’institution d’une Banque Publique d’Investissement, une politique ambitieuse de transition écologique. Mais il le faisait, en même temps, dans la perspective affirmée d’un redressement de l’économie par la recherche de la compétitivité et d’une réduction de la dette. Les mécontentements provoqués par des fortes augmentations d’impôts, touchant les classes moyennes, ont fragilisé ces ambitions. Les concessions obtenues dans la négociation européenne n’ont eu, au départ, qu’une portée limitée. Si le gouvernement a accepté les termes du Traité de stabilité budgétaire qui fixait une politique de réduction des déficits pour atteindre les 3 % de déficit. Il a voulu, en effet, ne pas être isolé dans un ensemble européen, où même les partis sociaux-démocrates et travaillistes ne présentaient pas un front commun. L’absence de résultats en matière d’emploi – traduisant aussi, la défiance des entrepreneurs – a achevé d’amener le Président et ses gouvernements à non pas renverser leur politique, comme en 1983, car, à aucun moment, le candidat n’avait annoncé une politique du « tout demande », –– mais à donner une priorité revendiquée à une politique de l’offre baissant le coût du travail et à la réduction des dépenses publiques dans un effort inégalé. Cela, même si une politique « d’austérité » n’a pas été vraiment mise en œuvre (contrairement aux accusations adressées par la « gauche de la gauche » et même au sein du PS) a, néanmoins, accentué la compression salariale – notamment dans la fonction publique et réduit les perspectives d’une redistribution sociale. Le tout dans un climat politique radicalisé par les mobilisations de la droite catholique contre le « mariage pour tous » et hypothéqué par les oppositions croissantes à gauche qui ont conduit au retrait des écologistes du gouvernement de Manuel Valls en avril 2014 –même s’il a été imposé par une partie d’EELV sur l’autre.

Ces éléments rendent compte des défaites électorales, évoquées au début de ce texte, et des perspectives difficiles pour les prochains rendez-vous électoraux. La crainte, agitée par les médias, est que le Parti socialiste devienne la « troisième force » derrière la droite – si toutefois celle-ci conserve son unité, ce qui n’est pas une donnée – et le Front national, principal réceptacle des mécontentements, des inquiétudes et des frustrations dans la société française. Les politiques socialistes telles qu’elles sont menées déçoivent les catégories populaires et les millions de salariés (et de chômeurs) qui ont des revenus faibles – et qui avaient voté relativement plus en faveur de François Hollande en 2012 – faute d’amélioration de la situation de l’emploi. L’affaiblissement d’une forte spécificité, en matière de politique économique et européenne, malgré de réelles oppositions sociétales, dessert, qui plus est, les socialistes dans l’électorat politisé et, particulièrement dans les jeunes générations. Certes, le Parti socialiste a tenté de réagir dans les années passées. Idéologiquement, en 2008, il s’est doté d’une nouvelle Déclaration de Principes, qui lui donne comme finalité de construire une « économie sociale et écologique de marché ». Le débat pour savoir si le Parti socialiste est ou non social-démocrate a évidemment toujours une portée symbolique (et polémique au sein du parti lui-même). Mais le contenu de ce texte, renforcé par la Charte des socialistes pour le progrès humain, adoptée en décembre 2014, qui va dans le même sens, l’inscrit, plus clairement, dans la famille social-démocrate européenne. François Hollande a d’ailleurs revendiqué la notion en janvier 2014 pour qualifier sa politique. Structurellement, depuis 1995, des réformes de démocratisation dans le parti lui-même, ont été mises en œuvre pour donner, à la fois, plus de pouvoir aux militants dans la désignation des dirigeants, du Premier secrétaire particulièrement, plus d’influence aux électeurs, avec des primaires ouvertes pour désigner le candidat socialiste aux élections présidentielles, comme il a été pratiqué en 2011. Mais il n’en demeure pas moins que le désarroi idéologique demeure. Les socialistes français ont refusé les thématiques de la « Troisième voie », mais ils n’ont pas défini une voie nouvelle réellement propre. La tâche est encore devant eux. Les pratiques politiques sont aussi en cause. Car le corps militant du Parti socialiste s’est affaibli et a vieilli, il n’est pas suffisamment en harmonie avec la réalité de la société et noue difficilement des liens avec les « forces vives » – comme il était dit dans les années 1960 – ce qui explique sa capacité déclinante à mobiliser de larges secteurs de l’électorat.

Dans ces conditions, que faudrait-il faire ? On peut émettre quelques réflexions, faites d’un petit nombre de certitudes et, inévitablement, d’hypothèses. L’élection présidentielle de 2017 sera une épreuve. Il n’est pas utile aujourd’hui de dresser des scenarii. Les candidats ne sont pas encore connus. Et la primaire de « Les Républicains » sera décisive –autant que la situation économique… Ce qui est, en revanche, certain, ce sera la capacité ou non du Parti socialiste de conserver son unité et de demeurer le parti principal de la gauche. Cela sera la condition pour mener à bien une régénération nécessaire. Si ce n’était pas le cas, une recomposition aux contours hasardeux saisirait toute la gauche. Cela ne plaide pas pour l’instauration d’un mode de scrutin fortement proportionnel pour les élections qui serait un encouragement aux éclatements de toute nature. Il y a une autre condition pour que l’unité du Parti socialiste soit maintenue. Elle dépend beaucoup du gouvernement. Un équilibre –qui a été trop long à trouver, trop coûteux dans l’opinion – entre une adaptation du « modèle » économique et social français, pour restaurer les marges des entreprises, limiter les rigidités inutiles du marché du travail, ouvrir à la concurrence des secteurs protégés, et une politique qui a sauvegardé la demande doit être maintenu et, qui plus est, explicité clairement. Il faut sortir des termes du débat répétitif, « trop libéral », « pas assez libéral ». Car, on peut critiquer, cette volonté de nature social-démocrate de rechercher une politique équilibrée entre plusieurs objectifs – et nous verrons ses résultats finaux- mais, on peut considérer également qu’elle correspond à une vision historique de combattre les injustices (et les irrationalités) du capitalisme sans en ruiner les potentialités.

Malgré le poids de la conjoncture qui pèse sur un parti de gouvernement, les socialistes devront s’attaquer –ou plutôt continuer à le faire, car ils ont commencé ce travail depuis 2008- à la redéfinition d’un projet fondamental. Au niveau des principes, ce n’est pas le plus difficile… Nous savons, en effet, ce qu’il faut penser et faire. Le socialisme européen, et français, doit élaborer un nouveau paradigme pour être à la hauteur de la nouvelle « grande transformation » que nous vivons déjà depuis deux-trois décennies. Il demande de redéfinir les rapports entre l’économie et le social en intégrant les nécessités du développement durable. Et, il faut agir à trois niveaux, le cadre national, le plan européen, le niveau mondial. Le programme social démocrate est loin d’être épuisé – comme il se dit souvent. Construire une économie et société plurielles, réalisant des équilibres (des compromis) entre l’Etat, le marché, la nature (c’est le terme nouveau par rapport au XXème siècle) demeure un horizon nécessaire pour préserver au mieux la dignité humaine. Seulement, il y a, dès aujourd’hui, et, sans doute encore plus pour demain, des arbitrages difficiles à rendre. Maîtriser la révolution technologique de grande ampleur, qui ne fait que commencer, demande de repenser la place et la nature au travail. La réalité d’une économique mondialisée fortement concurrentielle rend nécessaire d’aider à créer les conditions d’une économie de haute-productivité. Dans des sociétés bouleversées par ces chocs, économiques, sociaux, culturels, religieux, menacés par des fragmentations et des oppositions fortes, des réflexions sur ce que doivent être les identités nationales s’imposent. Et, pour le Parti socialiste – comme pour beaucoup de partis socialistes en Europe- l’avenir européen n’a plus l’évidence des années 1980-1990. Autrement dit, le travail programmatique qui est celui des socialistes ne peut rester dans le domaine des principes, il leur faut définir une vision stratégique pour l’avenir.

Enfin, un domaine en soi- et pas le moindre- concerne l’organisation elle-même, pour répondre aux enjeux du siècle qui commence. Faut-il toujours accoler le mot de socialisme à la notion de parti aujourd’hui ? Dans d’autres pays, on préfère d’autres termes, en parlant du travail, du progrès, de la démocratie ou tout simplement de la gauche. Le choix des mots importe peut-être moins qu’hier. Ce qui compte surtout, c’est la nature de l’outil politique. Correspond-il à la société réelle ? Sa rétraction sur un espace limité de militants n’est pas compensée par les ressources de la communication politique. La professionnalisation grandissante du « métier » politique n’aide pas à redéfinir le projet politique. Il faut s’interroger, d’abord, sur le degré d’implantation du parti dans les quartiers populaires, la vie associative, les lieux d’expression et de communication, ceux où l’on trouve les citoyens les plus jeunes, les plus dynamiques, les plus entreprenants, sans oublier les milieux artistiques, intellectuels, créatifs qui constituent la face lumineuse de la société. La tenue d’élections primaires en 2011, et leur succès, ont montré une disponibilité dans l’opinion. Les sections, organisées sur des critères géographiques, correspondent aux découpages électoraux. Mais, il faut, maintenant, mettre en œuvre d’autres formes de mobilisation sur d’autres critères, autour de la ville, de l’éducation, de l’économie sociale, de l’action culturelle etc, réunies autour de projets, à court comme à moyen terme, capables de durer ou au contraire de se dissoudre, la tâche une fois accomplie. Des règles nouvelles sont à inventer pour échapper aux jeux des courants traditionnels, qui, dans leurs pratiques de pouvoir, cultivent, en fait, le malthusianisme politique. L’ouverture sociale doit, ensuite, prendre une dimension européenne autre que rhétorique. Le minimum serait que chaque section cherche un jumelage avec une ou plusieurs sections d’autres pays européens : échanges, dialogues, comparaisons nourriraient le débat et l’engagement européen. Le Parti socialiste européen pourrait utilement contribuer à ces jumelages, avec l’appui des parlementaires au groupe socialiste européen. Le socialiste redeviendrait ainsi un enjeu international, à la base, plus proche des citoyens, et plus seulement à l’échelle de minces états-majors.

Un tel parti – qui n’est pas de l’ordre de l’utopie, mais de la volonté !, même si les efforts à faire sont importants- pourrait alors construire une alternative politique. Il y faut un travail constant de formation à travers des échanges et des débats, qui n’oublie pas l’histoire, mais sait prendre en compte la réalité d’aujourd’hui. Il y faut un travail programmatique qui ne se limite pas à l’élaboration d’une plate forme électorale. Ce peut-être un programme d’action avec ses étapes, ses évaluations, ses ajustements. Le Parti socialiste, que nous connaissons aujourd’hui, le parti « présidentialiste » forgé en 1971, par François Mitterrand, a, sans doute, fait son temps. De nouvelles générations, plus diverses dans leurs aspirations, leurs origines, leurs modes de vie, souhaitent s’engager dans une action de transformation sociale. Mais, la politique telle qu’elle est organisée ne leur en donne pas les moyens. Il ne s’agit pas de ménager quelques places sur des listes électorales, mais bien de redonner du sens à la capacité collective d’engagement. La vieille social-démocratie avait su le faire dans les conditions de son temps. C’est le défi d’aujourd’hui dans des conditions nouvelles. « L’intellectuel collectif », dont parlait Antonio Gramsci, ne peut pas se confondre avec de petits partis professionnalisés, mais avec la partie dynamique de notre société qui aspire à plus de justice et à plus d’épanouissement, après tout c’est ce qui mérite de s’appeler encore « socialisme »…

Alain BERGOUNIOUX

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