Hommage de Pierre-Yves Cossé à Michel Rocard

Fragments 87

 

L’Adieu au Temple

                                    Sentant venir la mort, beaucoup laissent aux vivants le soin d’organiser ce qui se passera après leur décès. Après tout, ils ne seront pas là pour apprécier. Michel Rocard, au contraire, avait laissé des directives précises. Peut-être est-ce plus sage de la part d’un homme public soumis aux risques des manipulations, les ennemis d’hier cherchant à récupérer un petit peu de la gloire du défunt.

Michel avait prévu un culte dans un temple de l’Eglise Réformée. Avait-il choisi le Temple de l’Etoile, qui n’est pas celui de Laurent Schlumberger, l’animateur de la cérémonie ? Probablement pas. Construction médiocre du 19è siècle, il ne séduit guère. Mais comme me disait un pasteur  facétieux: « Dans un temple protestant, on ferme les yeux et dans une église catholique, on se bouche les oreilles » En revanche, l’orgue qui vient d’être restauré est excellent, de même que la chorale, présente ce 7 Juillet au matin, qui joua excellemment du Bach.

Michel avait précisé lui-même le sens qu’il donnait à la cérémonie dans un texte qui fut lu par le pasteur Schlumberger au début de la cérémonie. Ce rationaliste lucide exprimait ses convictions : « Je ne crois plus à aucune transcendance et suis devenu agnostique .Mais je constate que l’humanité n’a pas su trouver en elle-même les sources d’une morale de la vie…Toutes les religions ont péché. Celle qui m’accueillit, le protestantisme, m’est souvent apparue comme l’une des moins coupables dans l’asservissement des hommes et notamment, critère majeur, des femmes »

Mais il reconnaissait qu’une de ses sources avait été le protestantisme, tout particulièrement ses mouvements de jeunesse. Il avait beaucoup reçu d’eux et il exprimait sa gratitude.

Le pasteur, respectueux des intentions de Michel, s’exprima avec sobriété. Il explicita l’apport des éclaireurs unionistes : goût du collectif, esprit de responsabilité, découverte de la nature (l’écologie avant la lettre)  et pour reprendre une formule du défunt « l’intransigeance éthique » Ce fut le début des engagements qui marquèrent l’ensemble de sa vie.

Il rappela que selon la tradition protestante le culte serait tourné vers les vivants pour les aider à donner un sens à leur vie. Aucun commentaire sur la vie éternelle et aucun rite autour du catafalque (le corps aurait pu ne pas être là, il attendra la fin des temps et la Résurrection).

Olivier, un des fils, lut le passage de l’Evangile sur le jeune homme riche, respectueux des commandements mais refusant de vendre tous ses biens pour suivre le Christ, qui l’aimait. Il prononce une phrase souvent citée « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » Pour le pasteur, la richesse visée par le Christ n’est pas seulement matérielle. Il vise toutes les accumulations de biens, d’honneurs, de savoirs et de pouvoirs qui ne sauraient apporter le bonheur ni donner un sens à nos vies. C’est une confiance première, inconditionnelle, qui nous libère du souci de soi et nous rend disponible pour les autres. Être confiant rend capable de faire confiance aux autres et de déléguer. C’est la confiance qui met au monde.

Clément, un petit fils, remarquable par la taille (2 m) lut la parabole sur la « graine de moutarde, la plus petite, qui devient plus grande que toutes les plantes potagères et donne de grandes branches » Elle était en harmonie avec un propos fréquent de Michel, l’adepte du temps long, qui comparait son métier à celui de l’horticulteur patient, sachant attendre et aimant la nature.

Francis, le fils aîné, un physicien connu notamment par ses interventions sur l’espace, lut un texte de son père, écrit en juillet 2014, où il se présentait comme un « combattant de la paix » qui surprit la plus grande partie de l’assistance. «  J’irai dormir en Corse à Monticello dans un cimetière à flanc de falaise » Pierre Soulages, dont il était proche, a dessiné une stèle qui sera placée à côté de ses cendres. Il lance une invitation à ceux qui admirent Soulages, veulent entendre le chant des grillons et respirer les senteurs des herbes et de la végétation corse, à proximité de la mer en Balagne.

 

Pourquoi le choix de ce village ? Sylvie, « l’épouse qui lui a donné le bonheur » y est née. Le cadre est superbe. Et Michel ressentait une grande empathie pour la Corse et ses habitants. Il l’a découverte en 1968 lors d’un stage du PSU qui réunissait plusieurs dizaines de militants. Comme sur beaucoup de sujets, il avait « tout » appris : son histoire violente, ses institutions spécifiques. Il expliquait souvent à des interlocuteurs, qui devaient être patients, les mystères de la fiscalité corse, le statut des terres et l’absence de cadastre.

Enfin, il relevait avec malice qu’aux élections européennes de 1994, qui lui furent fatales, il avait obtenu son meilleur score 37,2%…

Francis ajouta une phrase au texte de son père, un proverbe malien « Un vieil homme qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle »

Après avoir chanté « la gloire du Ressuscité » sur une musique de Händel, le temple, qui était comble, se vida de son assistance. Les Rocardiens, de tout âge et de toute confession, échangèrent sur le trottoir. Beaucoup de retrouvailles, d’embrassade et d’émotion, pendant un court moment, puisqu’il fallait aller aux Invalides.

 

Pierre-Yves Cossé

9 Juillet 2016

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