REUSSIR LA RELANCE PAR LA CONFIANCE – 2ème partie

CE QU’IL FAUDRAIT FAIRE

1° Lancer un vaste programme d’investissements publics

« L’Etat ne peut pas tout », certes. Mais face au marasme écomique qui menace après une reprise d’activité qui sera hélas lente, progressive et sans doute incomplète – car nous aurons perdu en route, malgré tous les efforts actuels de soutien, nombre d’entreprises et d’emplois – une relance keynésienne est indispensable. Bien évidemment, il ne faut pas opérer de coupes dans des investissements déjà lancés, sous prétexte d’économies budgétaires faciles comme notre pays en est malheureusement coutumier. Au contraire, il faut leur donner une dimension supérieure et y mettre les moyens, sans lésiner, puisque nous pouvons, comme je l’ai rappelé plus haut, emprunter quasiment sans coût les montants nécessaires. Un programme de cent milliards d’euros financé par l’Etat sous forme essentiellement de subventions et non de prêts (nos entreprises publiques étant déjà suffisamment endettées…) serait lancé et mis en œuvre tant par les collectivités locales que par les grandes entreprises publiques.

Ce programme est pleinement justifié par les retards pris, tant le sous- investissement dans les infrastructures constitue en lui-même une dette cachée, dont la résorption compensera l’endettement. Encore doit-il être à décaissement rapide, sur une durée courte (trois ans maximum), contrairement au « Programme des investissements d’avenir » : 57 milliards d’euros, essentiellement sous forme de prêts, en 3 tranches, qui se sont succédé depuis dix ans et ne sont toujours pas

complètement en place1.
Les points d’application sont aisés à identifier, en prenant en compte

l’objectif prioritaire de protection de l’environnement :
– Un grand programme pour l’hôpital public et la santé ; les besoins ont

suffisamment été mis en évidence dans la crise actuelle pour que nul ne s’y oppose. Il faut, tout en revalorisant les salaires du personnel soignant, améliorer les équipements, constituer les stocks nécessaires, sans pour autant renoncer à revoir un maillage terrtitorial qui laisse à désirer ;

– Un plan substantiel de remise à niveau pour les transports, essentiellement ferroviaires, tant pour des raisons écologiques que parce que les infrastructures de la SNCF ont beaucoup vieilli. Cela inclurait aussi un volet d’accélération du programme du métro du « Grand Paris » et des lignes de métro et de tramway dans nos métropoles régionales. Il faudra le compléter par des soutiens aux ménages des régions rurales ou « périphériques », qui devraient inclure des primes à la casse de voitures trop consommatrices et polluantes et des incitations aux modes de déplacement comme les cycles et le co-voiturage ;

1 Lancé en 2010 à hauteur de 35 milliards d’euros initialement, complétés par deux tranches supplémentaires de 12 et 10 Mds € pour promouvoir « l’excellence française » sur six axes stratégiques, ce programme, tourné, à juste titre, vers l’enseignement, la recherche, l’innovation, la transition énergétique, consiste malheureusement surtout en prêts ; une partie importante des dotations sont même « non consomptibles », ce qui signifie que la dotation annoncée est placée sur un compte du Trésor et que seuls les intérêts produits par leur rémunération peuvent être consommés ; or ces taux d’intérêt sont aujourd’hui très bas…. En outre , la mise en place du PIA a été très lente : dix ans plus tard, une partie des fonds prévus n’ont pas encore été décaissés.

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  • –  Un plan massif de réhabilitation énergétique de nos logements, en commençant par les bâtiments publics et l’habitat social : il y a au total trente millions de logements à rénover ; au rythme actuel, cela prendra trois quarts de siècle ! Il faut passer ce rythme à un million de logements par an2 ;
  • –  Une refonte à grande échelle de notre système d’enseignement et surtout de la formation continue, en s’orientant par exemple vers un système « à la danoise » de crédit d’éducation d’une durée commune à tous (5 ans) utilisable tout au long de la vie. Cela devrait être complété, dans un esprit d’ouverture, par un renforcement de l’excellent programme ERASMUS+, qui reste sous-doté malgré la proposition de la Commission européenne de le doubler entre 2021 et 2027.

    Plus largement, ces grands investissements d’avenir pourraient être coordonnés à l’échelle européenne ; on peut par exemple proposer de ne pas les comptabiliser dans le calcul de la dette et du déficit public, lorsqu’ils sont cofinancés par l’Union européenne.

    2°Inciter fortement à l’investissement privé et à l’innovation

    Trois mesures iraient en ce sens :

  • –  un impôt sur les sociétés non pas majoré mais modulé, frappant davantage les dividendes distribués (et, pire encore, les rachats d’actions !) et au contraire allégé pour les fonds investis par l’entreprise pour améliorer son outil de production. De telles modulations existent dans d’autres pays et sont efficaces.
  • –  une couverture des sommes investies par des Fonds de garantie (comme ceux que gère la BPI3) avec une contribution publique partielle, en vue de réduire les aléas des entreprises qui investissent et d’accroître la prise de risques globale. Ce système a fait ses preuves et est peu onéreux.
  • –  et une nouvelle mesure d’accélération des amortissements et/ou des sur- amortissements pour les entreprises qui s’équipent afin d’améliorer leur productivité (robotisation, numérisation, introduction de techniques innovantes…).

    En complément, nous devons développer une véritable politique de productivité – à l’inverse des politiques erronées d‘ « enrichissement de la croissance en emplois », c’est à dire de sous-productivité, que nous menons depuis trente ans – en favorisant activement la recherche et l’innovation.

    Cela suppose de débloquer les moyens nécessaires pour mieux rémunérer les chercheurs, mieux équiper les laboratoires, attirer des chercheurs étrangers (et les retenir !), et, parallèlement d’encourager le transfert des recherches en applications productives, c’est-à-dire l’innovation sous toutes ses formes. On sait

    2 Si l’on retient un coût moyen de 30 000 euros par logement rénové, passer de 400 000 à un million de logements rénovés par an représenterait un budget supplémentaire de 18 milliards d’euros. Mais la majeure partie de ce coût, s’agissant d’investissements qui ont un retour positif (sous forme de réduction des factures d’énergie), pourrait être financée par des investisseurs privés et/ou des prêts de la Caisse des Dépôts.

    3 La BPI (BpiFrance), Banque publique d’investissement, créée fin 2012, a fusionnné plusieurs institutions financières publiques comme OSEO, l’ANVAR et la SOFARIS ; elle continue, comme le faisait cette dernière, à offrir une série de Fonds de garantie qui facilitent la prise de risque par les banques en couvrant une partie de ce risque en cas de défaillance de l’emprunteur.

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.

par exemple que nous employons trois fois moins de robots que nos voisins allemands. Cela appelle des financements appropriés4 ; l’action de la BPI, encore trop tournée vers les prêts et les activités classiques, devrait être orientée vers un soutien bien plus marqué à l’innovation.

3°Favoriser une relocalisation des chaînes de valeur par une véritable

politique industrielle

La crise sanitaire a mis en évidence les inconvénients majeurs de modes de production trop éclatés, à la recherche systématique du coût de production le plus bas sans prendre en compte les dégâts sociaux (chômage dans les pays de départ, exploitation d’une main d’œuvre sous-payée dans les pays d’accueil) ni environnementaux de ces délocalisations. Cette recherche d’avantages à courte vue a conduit à oublier les risques de rupture des approvisionnnements que fait courir l’éclatement des chaînes de valeur entre des sous-traitants aussi nombreux que lointains. Les décideurs semblent mûrs aujourd’hui pour réviser ces schémas. Il faut les y encourager :

en mettant en place, comme cela commence à être fait un peu partout5, des systèmes d’autorisation des prises de contrôle de secteurs stratégiques ;

en résorbant les pénuries de main-d’œuvre qualifiée. Le manque de main- d’œuvre compétente dans les branches les plus modernes, qui coexiste avec un chômage significatif, est un frein considérable à la croissance. Outre le programme massif de formation continue proposé au point 1 ci-dessus, il faut inciter au rapprochement entre l’enseignement et l’entreprise. L’effort récent en faveur de l’apprentissage va dans le bon sens ; il doit être poursuivi activement et prolongé par la remise à jour des compétences, pour les chômeurs comme pour les personnes en cours d’emploi ;

en relançant une véritable politique industrielle avec des objectifs et des moyens par branches6. Il faut identifier et soutenir les secteurs stratégiques, en coopération européenne chaque fois que possible (sur le modèle d’Aibus, grande résussite industrielle et exportatrice). Il s’agit de constituer des « clusters » d’entreprises suffisamment puissants pour pouvoir faire face à la concurrence internationale, tout en étant en mesure de répondre aux défis sociétaux posés par la révolution numérique et le changement climatique. Cette nouvelle politique industrielle implique de rétablir des conditions de concurrence équitable à l’intérieur du marché unique – donc de lutter contre le dumping social et fiscal au sein de l’U.E. – et vis-à-vis de l’extérieur. A l’intérieur, ces règles devraient devenir un prérequis pour la participation à un certain nombre de programmes

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4 Comme les avances remboursables en cas de succès mises en oeuvre par la BPI.

5 Cela a été fait en France en 2016 avec les « décrets Montebourg » ; ce système d’autorisation préalable des inverstissements étrangers dans les secteurs stratégiques a été étendu en 2019 à de nouveaux secteurs ; des régimes analogues existent en Allemagne (depuis l’affaire Kuka – prise de contrôle par la Chine d’une « pépite » germanique de robotique) et en Grande-Bretagne, malgré le libéralisme de principe de ces pays.

6 Il faudrait par exemple renforcer les Centres techniques professionnels, foyers de diffusion de l’innovation.

européens ; surtout, il faut parvenir à harmoniser la base et le montant de l’impôt sur les sociétés et à proscrire les accords fiscaux dérogatoires à l’intérieur de la zone Euro. A l’extérieur, l’Union européenne devrait promouvoir des accords internationaux ambitieux reconnaissant et étendant autant que possible le haut niveau des normes sociales et environnementales européennes ;

– en revoyant les règles de la concurrence au sein du marché intérieur pour permettre de grands investissements européens en faveur des nouveaux secteurs clef de l’économie (microélectronique, technologies de l’information et de la communication, numérique, intelligence artificielle, stockage de l’électricité…). La vision trop étroite de la concurrence entre les seules entreprises européennes pratiquée jusqu’ici par la Commission de Bruxelles, au lieu de consolider le marché intérieur, affaiblit nos jeunes pousses et retarde la constitution de champions européens.

4°Soutenir financièrement les entreprises stratégiques en difficulté

Notre pays a une grande expérience pour apporter en urgence toutes formes de soutien nécessaires afin d’aider les entreprises stratégiques en difficulté temporaire, quelle que soit leur dimension. Le gestion de tels dispositifs doit être bien adaptée pour permettre à la fois d’intervenir rapidement et de le faire à bon escient. Il suffit de donner les moyens utiles à des organismes existants et qui ont fait leurs preuves, aussi bien au niveau national que dans les régions.

5°Réorienter les politiques de l’épargne vers le risque

Il est étrange de constater que, dans une période où sévit ce que les économistes décrivent comme la « trappe à liquidités », c’est-à-dire la stérilisation de l’épargne au lieu de son investissement, typique de périodes à tendance déflationniste, le système fiscal français continue d’être outrageusement favorable à la constitution d’une épargne liquide totalement sécurisée plutôt qu’à la prise de risques.

Les PEA – dont le plafond pourrait par exemple être porté de 150 000 à 250 000 euros – doivent être préférés aux « livrets A » d’épargne ou autres LDD7 ; l’exonération dont bénéficient les revenus de ces livrets est présentée à tort comme une mesure sociale, alors qu’elle ne bénéficie, par définition, qu’aux plus aisés.

La fiscalité de l’assurance-vie doit être révisée pour, à taxation globale égale, introduire un taux d’imposition plus faible pour les contrats en unités de compte (largement investis en actions) que pour les contrats garantis en euros ; la règlementation européenne « Solvabilité 2 », qui décourage totalement les placements en fonds propres, devra être revue aussi rapidement que possible.

Enfin, il est indispensable de mener une action beaucoup plus ferme en faveur du renforcement des fonds propres des entreprises. Les propositions qui précèdent en matière d’impôt sur les sociétés (moindre taxation des fonds réinvestis dans l’entreprise) et d’assurance-vie (favoriser les fonds investis en

7 PEA : Plan d’épargne en actions ; les revenus et plus-values des actions qui sont placées sur ces comptes sont exonérés d’impôt (mais pas de cotisations sociales). Les LDD, livrets de développement durable, sont exonérés d’impôt sur les intérêts perçus (à taux légèrement supérieur à celui des livrets A de Caisse d’épargne)..

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actions) vont en ce sens. Au-delà, il faut absolument aider les nombreuses PME innovantes qui se créent, mais peinent à grandir, à franchir la « vallée de la mort » – c’est-à-dire les premières années de croissance rapide, gourmandes en fonds propres, aujourd’hui presque introuvables pour des programmes de 5 à 100 millions d’€ –, et à devenir ces entreprises moyennes-grandes performantes qui nous manquent tant. C’est le rôle du capital-développement et des FCPI (Fonds communs de placement pour l’innovation) ; les dispositifs réglementaires et fiscaux qui les encadrent devraient être rendus beaucoup plus incitatifs.

6° Un « plan vert » français répondant au « plan vert » européen

Il est fort heureux que la nouvelle Commission européenne présidée depuis fin 2019 par Ursula von der Leyen ait mis en tête de son programme un « Plan vert » assez ambitieux. Notre pays devrait soutenir cette orientation, insister pour que les moyens nécessaires soient dégagés et mettre les priorités environnementales au cœur de son propre programme de relance.

Il s’agirait d’agir de façon résolue dans quatre directions :

– La « taxe carbone aux frontières » : elle est indispensable pour égaliser la concurrence entre les produits fabriqués en Europe, qui subiront les mesures de protection du climat, et les produits importés, qui n’ont pas de charges analogues chez eux. Il faut pousser fortement cette mesure, qui vient être remise en avant par la nouvelle Commission européenne tout en cherchant à lever l’obstacle que constituent les règles actuelles de l’OMC, qui ont grand besoin d’être « verdies ». De plus, la taxe carbone européenne procurerait à l’Union européenne des ressources propres supplémentaires pour financer ses politiques : le « plan vert » , les politiques de cohésion, de recherche et innovation, et éventuellement un système commun d’assurance chômage.

– La lutte contre l’effet de serre par des normes d’émission plus strictes pour les véhicules ; ces mesures sont souvent impopulaires, la crise des Gilets jaunes l’a montré ; mais elles doivent être accompagnées, comme proposé au point 1 ci-dessus, par une offre améliorée de transport public et par des incitations aux modes de déplacement alternatifs. Le renforcement déjà en cours des systèmes de bonus-malus doit être poursuivi, malgré les pressions des constructeurs, pour faire évoluer les modèles vers la propulsion électrique ou l’hydrogène. La dimension européenne est évidemment ici essentielle pour éviter les distorsions de concurrence. Le marché européen d’échange des permis d’émission a un rôle important à jouer pour fixer le prix de référence de la tonne de carbone : longtemps rendu inefficace par des allocations de quotas trop laxistes, il se ranime, mais il reste encore beaucoup à faire pour lui donner le rôle directeur nécessaire.

– La transition énergétique, dans la perspective adoptée par l’Union européenne d’une « neutralité carbone » en 2050, doit être assurée par un développement résolu des énergies renouvelables. Il y faut des incitations fiscales8, et surtout désormais un allégement des contraintes réglementaires et juridiques,

8 On a vu plus haut que le progrès technique a rendu l’énergie solaire et l’énergie éolienne la plupart du temps compétitives sans subventions. Il reste que, pour continuer à progresser, il faut changer bien des habitudes, vaincre bien des réticences et que des objectifs publics et des incitations appropriées restent souhaitables.

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qui cachent trop souvent des intérêts immédiats – par exemple, ces complications retardent depuis des années les six grands projets d’éoliennes offshore déjà programmés et attribués au large de nos côtes. Il faut aussi accélérer la recherche en matière d’énergies nouvelles, notamment dans trois directions : la filière hydrogène ; le stockage de l’électricité ; la recherche de pièges à carbone.

– La lutte contre la pollution, enfin, doit être renforcée : par un programme énergique de dépollution des nos eaux, sujet sur lequel la France est en retard et a été plusieurs fois condamnée ; par une action massive sur le traitement des déchets portant en amont sur les emballages et « l’éco-conception » pour recyclage ultérieur et en aval sur une responsabilisation des usagers par des règles (interdiction des emballages plastiques) comme par des incitations économiques et fiscales, pour progresser vers « l’économie circulaire ». Les fabricants de produits utilisant les déchets les plus dangereux ou les matériaux les plus rares (produits informatiques, téléphonie…) devront aussi être responsabilisés.

*

Il faudra sans doute fixer des priorités, dans ce vaste ensemble de mesures, et tenir compte du temps politique, qui est plus court, à deux ans de la prochaine élection présidentielle en France. Il faudra, pour la relance des investissements et le traitement des entreprises en difficulté, trouver des modes de gestion non bureaucratiques, avec les dérogations nécessaires aux règles trop paralysantes et en donnant sa juste place à la subsidiarité, notamment avec les régions9. Se pencher aussi, une fois la relance bien démarrée, sur les économies qu’une meilleure gestion peut apporter dans bien des zones de l’action publique et qui compenseront en partie les dépenses nouvelles.

Mais, globalement, la grave crise sanitaire et économique que nous traversons est l’occasion d’un changement profond de nos politiques, et d’un grand rebond. Rappelons-nous le mot si pertinent de Churchill : « Pour un pessimiste, toute oppportunité est une calamité ; pour un optimiste, toute calamité est une opportunité ! ».

Philippe Jurgensen, 7 mai 2020

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9 Les régions et d’autres collectivités locales pourraient prendre en charge le financement des projets de moindre dimension, selon une règle de subsidiarité ; par exemple, une délégation aux régions si celles-ci passent une convention avec l’État et assurent un principe de financements mixtes 50% Etat – 50% Région pour l’ensemble des dossiers de leur région.

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