Préparer l’avenir de la France en investissant dans la recherche

La recherche scientifique en approfondissant notre connaissance du vivant, de la société, de la matière et de l’Univers modifie notre vision du monde tout en contribuant à la mise en oeuvre des politiques publiques dans des domaines comme la santé, l’énergie, la défense, l’action sociale, etc. Quelques exemples illustrent notre propos. Nous empruntons le premier à l’informatique. Celle-ci réalise des progrès considérables, notamment grâce à l’augmentation continue de la puissance des ordinateurs rendue possible par la miniaturisation des transistors, or celle-ci atteignant une limite, les informaticiens étudient une alternative en appliquant à l’informatique le concept d’information quantique. Google, l’un des GAFA, a certes annoncé, en octobre 2019, que ses chercheurs avaient construit un calculateur prouvant la « suprématie quantique », mais en dépit de cette annonce triomphaliste d’une réelle performance, il n’en demeure pas moins que le succès, encore incertain, de cette nouvelle informatique ne sera acquis qu’au prix d’un long effort de recherche fondamentale en physique quantique. Notre deuxième exemple concerne la transition énergétique dont l’un des objectifs est de remplacer les moteurs thermiques des automobiles par des moteurs électriques. Il ne peut être atteint qu’en augmentant les performances des batteries, notamment celles de la batterie lithium-ion qui est, aujourd’hui, un enjeu stratégique pour l’industrie automobile. Ceci suppose un effort de recherche en électrochimie et sur les matériaux pour les électrodes (trouver un substitut au cobalt par exemple) et les électrolytes. Observons, enfin, que la politique de la France qui intervient au Sahel pour aider les Etats de la région, déstabilisés par des actions terroristes, devrait bénéficier des connaissances sur les Touaregs acquises par des anthropologues, des sociologues et des historiens français. Bref, la recherche contribue à préparer l’avenir, en aidant la société à anticiper des « crises », à relever des défis auxquels elle est confrontée, qu’il s’agisse du climat, de la santé, de la transformation du travail et des modes de vie par le numérique. Elle est aussi un moyen pour préserver notre indépendance technologique à un moment où la transition énergétique ouvre une nouvelle étape de la géopolitique de l’énergie. De nombreux pays en sont convaincus, la Chine et les Etats-Unis notamment.
Alerté, sans doute, par les constats que font les personnels de la recherche, des responsables d’organismes de recherche et des parlementaires de l’insuffisance de l’effort budgétaire de la France consacré à la recherche, le gouvernement a annoncé, en 2019, qu’il soumettrait au vote du parlement, en 2020, un loi de programmation pluriannuelle de la recherche. On doit saluer cette décision (la dernière loi fut votée en 1982 au début du septennat de François Mitterrand et préparée par un colloque national sur la recherche et la technologie), il reste à savoir si l’augmentation des moyens pour la recherche sera au rendez-vous. Sa situation n’est certes pas dramatique mais elle est préoccupante. En effet, la dépense nationale publique et privée de Recherche-Développement de la France plafonne au niveau de 2,25% du PIB et elle est au septième rang mondial pour le nombre de publications scientifiques (elle était au sixième en 2012) et au quatrième pour les brevets dans le système européen, les travaux de ses chercheurs sont souvent récompensés par des prix Nobel et des médailles Fields en mathématiques. Dans un contexte où la concurrence internationale est bien plus forte qu’il y a vingt ans, les organismes de recherche et les universités n’ont aucune marge financière pour créer des équipes dotées de moyens matériels pour être compétitives, et les salaires des chercheurs débutant dans la recherche publique (souvent recrutés à bac+10 ou 12) ne sont pas attractifs. Enfin, un système bureaucratique et chronophage d’appel à projets, mis en place au fil des ans, mobilise une part croissante de l’activité des responsables d’équipes. Nos partenaires européens, sans parler de la Chine, ont augmenté, depuis dix ans, leur effort de recherche (l’Allemagne y consacre 3% de son PIB, la Suisse et la Suède près de 3,4%, le Royaume-Uni, il est vrai, 1,7% seulement mais avec une concentration sur les sciences de la vie). L’augmentation des dépenses de recherche des entreprises est insuffisante en dépit du CIR (le crédit d’impôt recherche créé en 1983) dont elles bénéficient, l’effort du secteur des moyennes technologies, peu développé en France, étant trop timoré. Le patron de la recherche fondamentale chez Facebook, l’informaticien Yann Le Cun, souligne dans son livre sur l’intelligence artificielle, Quand la machine apprend, que la vitalité de la recherche dans des pays comme les Etats-Unis, le Canada et la Suisse avec ses écoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zurich, réside dans sa capacité à attirer les meilleurs talents du monde. L’avenir de la recherche en France doit se préparer sur des campus de recherche où enseignants des universités et des Grandes Ecoles et chercheurs des organismes de recherche travaillent ensemble dans des laboratoires bien équipés, attirant des étudiants qui y trouveront un cadre de vie stimulant comme sur de nombreux campus européens et américains.
Un groupe de travail mis en place par le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pour préparer la future loi sur la recherche avait estimé entre 2 et 3,6 milliards l’effort public annuel pour financer les actions qu’il fallait lancer. Cinq d’entre elles nous paraissent prioritaires :
la revalorisation des carrières des chercheurs et des universitaires avec en priorité une plus grande attractivité des salaires des jeunes débutants,
une remise à niveau des moyens de base des laboratoires des organismes de recherche, accompagnée d’une dotation spécifique annuelle leur permettant de créer des nouvelles équipes avec des moyens pour travailler et recruter des doctorants,
un nouveau programme « campus » financé par le « programme investissements d’avenir » en coopération avec les régions destiné à équiper les campus universitaires et à créer des nouveaux cursus pluridisciplinaires,
utiliser le CIR pour inciter les entreprises à créer des laboratoires mixtes avec les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur et des nouvelles chaires,
lancer un programme de promotion de la culture scientifique en coopération avec les collectivités territoriales.
La recherche représente un potentiel d’expertise qui doit être mobilisé pour préparer l’avenir. Cette mobilisation requiert une réflexion prospective sur les enjeux de la science et de la technique qui n’a pas été entreprise, ces dernières années, par les instances officielles qui en ont la charge. Il est urgent de remédier à cette carence. Soulignons, enfin, que l’avenir dépend aussi de la volonté de nos concitoyens, des acteurs de la vie sociale et économique et des dirigeants politiques de reconnaître que le savoir est une valeur clé pour nos sociétés.

Pierre Papon, membre du bureau d’IAG
Michel Destot, Président d’IAG

 

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