« Pour un Sénat acteur véritable de la démocratie moderne » par Catherine Tasca (1ère Vice-présidente du Sénat)

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Point de vue

Pour un Sénat acteur véritable de la démocratie moderne

LEMONDE.FR | 23.03.11

En septembre, le Sénat pourrait connaître l’alternance politique pour la première fois depuis des décennies. Plus qu’une nécessité, ce basculement constitue une urgence démocratique tant pour les collectivités locales que pour le Parlement lui-même.

Dans l’immédiat, notre ambition est de remporter un sixième scrutin local (élections cantonales de 2011 après 2004 et 2008, élections régionales de 2004 et 2010, élections municipales de 2008). Or, plus les Français renforcent la présence de la gauche au sein des collectivités territoriales, plus le gouvernement s’efforce de priver ces dernières de leurs moyens d’action. Par des transferts de charges incessants et non compensés, par la suppression de la taxe professionnelle, la réduction de l’autonomie fiscale et la limitation du recours aux cofinancements, le gouvernement multiplie les entraves aux collectivités. Outre cette déstabilisation, le gouvernement casse le maillage du territoire : affaiblissement du service public postal, réduction des postes de policiers et des magistrats, fermeture de classes et de structures publiques de santé.

Dans ce contexte très dégradé de recentralisation, les élections cantonales des 20 et 27 mars offrent aux Français l’occasion de faire savoir que la politique actuellement menée tourne le dos à leurs attentes en matière de solidarité et de justice sociale. Les conseils généraux sont aux avant-postes pour relever les défis de la cohésion sociale et territoriale. Le choix des hommes et femmes qui représenteront les Français au sein des assemblées départementales est donc essentiel. Une large participation des Français permettra de contrecarrer cette politique gouvernementale, menée avec l’appui de l’actuelle majorité sénatoriale, qui contredit le travail conséquent entrepris par les élus locaux.

S’agissant de la réforme des collectivités territoriales, la plupart des améliorations apportées lors de l’examen au Sénat ont été retirées par l’Assemblée nationale à la demande du gouvernement. Le Sénat voit sa mission de législateur et de représentant des collectivités constamment bafouée, cela sans susciter de réaction des sénateurs de l’actuelle majorité, à de rares exceptions près.

La pratique actuelle du gouvernement prive le Sénat des moyens de contribuer efficacement au développement des territoires. Elle affaiblit considérablement le bicamérisme, qui devient virtuel, et accentue plus encore le déséquilibre des institutions au profit d’un exécutif autoritaire.

Il est temps que la Haute Assemblée exerce activement ses prérogatives au sein du jeu institutionnel. Les élections sénatoriales de septembre constituent un enjeu démocratique et politique majeur.

Il est indispensable que le Sénat resserre avec les collectivités des liens que la majorité sénatoriale, par ses votes, a laissé se distendre. Le Sénat doit regagner sa capacité à porter efficacement auprès du gouvernement les attentes des élus locaux, singulièrement tenus à distance des réformes qui les concernent. Ce rétablissement du dialogue doit être mis au service d’une autre politique, nécessairement décentralisatrice.

UN SÉNAT REPRÉSENTATIF DE LA DIVERSITÉ

Les chantiers qui s’annoncent pour le Sénat ne pourront cependant pas être les mêmes selon la majorité qui se dessinera. Nul doute que, si la droite, grâce à un mode de scrutin biaisé et obsolète, parvenait à conserver la majorité au sein du Sénat, le déshabillage des territoires se poursuivrait. En un temps où les Français attendent beaucoup de leurs élus, une telle remise en cause de la décentralisation apparaît comme un contre-sens politique. C’est la raison pour laquelle je crois résolument en un sursaut démocratique des élus locaux.

Le Sénat, si utile en temps normal à la qualité de la loi et au débat démocratique, ne peut prétendre durer qu’à la condition d’être représentatif de la diversité de ces territoires, métropolitains, d’outre-mer, sans oublier les français habitant à l’étranger. Il doit se renouveler à l’image des mutations profondes qu’a connues la France au cours de ces trois décennies en conjuguant le puissant mouvement d’urbanisation avec la nécessaire préservation des territoires ruraux. Le Sénat doit faire le pari de la diversité et de la parité. Cette représentativité accrue passe inévitablement par un changement du mode d’élection des sénateurs.

Si le basculement venait à se confirmer, le président ou la présidente du Sénat, deuxième personnage de l’Etat, serait issu des rangs de la gauche. La personnalité incarnant cette présidence devrait alors composer avec une situation politique inédite : cohabiter jusqu’en mai 2012 avec un président de la République plus à droite que jamais, et de plus en plus impopulaire, en pleine campagne pour l’élection présidentielle.

Je ne crois pas à la figure providentielle. Un tel changement démocratique résultera avant tout d’un travail collectif et du choix d’une personnalité expérimentée dont la voix porte. La priorité sera de favoriser dès septembre la rénovation démocratique qui permettra de faire du Sénat un acteur institutionnel moderne. Nous prônons un Sénat capable d’initier, de dialoguer d’égal à égal avec le gouvernement, un Sénat symbolisant, tout en respectant l’indispensable unité de la nation, une autre image de la France, sérieusement abîmée depuis 2007.

C’est aux élus locaux, par leur vote de septembre, de faire entendre leur volonté de changement. Dans cette attente, n’oublions pas le second tour des élections cantonales.

Catherine TASCA, ancienne ministre, vice-présidente du Sénat

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