La couleur des lunettes. Par Robert Chapuis

 

                               Peut-on choisir des lunettes roses pour voir l’avenir ? Ce serait sympathique, est-ce réaliste ? Le printemps sera consacré au déconfinement. Il faut attendre l’été pour faire un premier bilan. L’été servira aussi à reprendre des forces, c’est-à-dire que les forces bloquées par la pandémie vont pouvoir se reconstituer. Elles chercheront à s’imposer ou du moins à retrouver et si possible à accroître leur influence. Jean-Yves Le Drian l’a montré sur le plan international, avec un certain pessimisme. Qu’en est-t-il pour l’Europe et la France ?

                             L’Europe ? Amoindrie par le Brexit, elle a tenu par la force de l’euro qui a contraint les Etats-membres à une solidarité suffisante. Celle-ci ne va pas jusqu’à permettre de jeter les bases d’une politique économique commune, ni sur le plan industriel, ni sur celui des services et de moins en moins sur le plan agricole. L’entente franco-allemande, pivot de toute politique européenne, est vacillante : les contradictions internes à chacun des pays bloquent les initiatives communes, d’autant que les échéances électorales sont relativement proches pour chacun. Faute d’une capacité politique minimale, la Commission navigue tant bien que mal entre les divisions du Parlement et celles du Conseil européen (qui ne sont pas les mêmes…). L’échec du referendum de 2005 fait toujours sentir ses effets !

                            Avec la pandémie due au Covid 19, la mondialisation a montré ses risques et ses limites. Cette épreuve permettra-t-elle un sursaut européen ? C’est évidemment souhaitable, est-ce- probable ? Le marché européen est à la dimension du monde pour ses importations comme pour ses exportations, avec des variantes pour chaque pays. C’est vrai pour Airbus comme dans le domaine de l’énergie. La filière nucléaire française pourrait-elle survivre sans les commandes de la Chine et de quelques autres partenaires dans le monde ? on peut bien sûr choisir de « sortir du nucléaire », mais l’exemple de Fessenheim montre qu’il y faudra un certain temps et une harmonisation à l’échelle de l’Europe : à quel terme ? Pour mener une politique, il faut un pouvoir politique. Les tendances  identitaires qui se renforcent aujourd’hui jouent contre toute souveraineté au moins partagée. Pourra-t-on renverser la tendance, alors que les autres continents (et la Grande Bretagne) ne feront pas de cadeau ?

                         La France ? L’effet du virus a été ralenti, il n’a pas été vaincu. On vivra donc encore avec le Covid 19 comme avec d’autres virus, la différence étant que l’on n’a pas de vaccin pour celui-ci. Le confinement a été utile. Il a permis d’éviter un débordement dramatique du système de santé et de maîtriser la crise sanitaire (du moins jusqu’à présent). Les français, dans l’ensemble, ont respecté le confinement et permis sa réussite. Ils ont partagé l’objectif fixé par le président de la République et suivi les consignes gouvernementales. Ils ont manifesté leur solidarité avec le personnel soignant et les plus fragiles. Néanmoins à travers les réseaux sociaux et dans la cacophonie des médias (avec le secours compliqué d’experts plus ou moins neutres, sinon neutralisés…), s’exprime un mécontentement latent ou une colère rentrée qui traduit et nourrit une défiance persistante à l’égard de l’exécutif. Les fake news y contribuent, mais le repli sur soi aussi, avec la peur liée au déconfinement qui s’ajoute à celle de la perte de revenu. La parole est redonnée aux intérêts particuliers et aux forces qui structurent la vie politique française. Celles-ci sont de gauche et de droite. Elles divergent sur les politiques à mener, mais se réunissent dans une commune opposition au chef de l’Etat. La  majorité présidentielle est amoindrie au Parlement et surtout dans le pays, comme l’a montré le premier tour des élections municipales.

Voilà des lunettes bien grises ! Sans doute faut-il faire confiance à l’humanité pour inventer son avenir et ne pas sombrer dans un pessimisme démobilisateur. Il faut néanmoins mesurer les difficultés qu’il faudra dominer à court terme à défaut de pouvoir définir le long terme.

Robert Chapuis

28 avril 2020

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