Notre pays vient de vivre, non sans mal, un épisode majeur de territorialisation avec pas moins de 3 lois entre 2014 et 2016. Elles s’inscrivent dans une évolution lancée depuis 35 ans, un considérable mouvement de fond qui se traduit notamment par de multiples transferts de compétences et une structuration successive de leur répartition entre l’Etat et les différents échelons territoriaux et entre les collectivités locales elles-mêmes.
Le paysage administratif a fortement changé ces trois dernières années avec la création des 15 puis 22 métropoles, le passage de 22 à 13 régions et la réorganisation des services territoriaux de l’Etat. La carte intercommunale a été profondément remaniée avec une réduction inédite de 40 % du nombre de groupements à la date du 1er janvier 2017.
Dans le même temps, les collectivités locales ont été fortement mises à contribution financièrement. Elles ont subi des coupes budgétaires sans précédent. Plus de 10 milliards d’euros ont été ponctionnés sur leurs dotations entre 2014 et 2016. Comme l’a écrit la Cour des comptes dans son rapport de juin 2016, « la réduction du déficit national provient pour la moitié des collectivités locales » alors qu’elles représentent seulement 20 % de la dépense publique…
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron, tout nouvellement élu à la tête de l’Etat, a cherché à renouer le lien avec des élus bousculés pour ne pas dire en état de choc… Pas de grandes réformes à la clé, exceptée la taxe d’habitation, mais une méthode différente fondée sur le dialogue et la confiance. Fini l’interminable train de négociations entre l’exécutif et les associations d’élus qui avait plombé le début du quinquennat de François Hollande ; finis les coups de rabot dans les dotations, malgré les nouveaux efforts demandés (d’ailleurs bien plus importants que sous Hollande – 13 milliards contre 10 environ !), finis les « oukazes », les ordres venus d’en haut, place à l’innovation disruptive et au sur-mesure ! En installant un espace de dialogue, la Conférence des territoires, le nouvel exécutif a montré combien il souhaitait associer les élus locaux à la décision. La démarche est un peu « techno », ou très « start-up », mais force est de constater qu’elle a séduit les associations d’élus décidées à travailler en confiance avec l’Etat dans une relation renouvelée.
Pourtant cette « idylle » n’a duré que le temps d’un été. En pleine trêve estivale, le gouvernement a annoncé coup sur coup et de façon arbitraire différentes mesures venant en pleine contradiction avec la méthode initiée. Gel de crédits en faveur de la politique de ville, retour sur la réforme des rythmes scolaires, lancement d’une consultation sur la politique de logement, baisse des APL, baisse du nombre d’emplois aidés… des mesures prises sans aucune concertation avec les élus locaux. « Macron gâche notre relation naissante » écrivent les associations d’élus, qui, c’est suffisamment rare pour le signaler, ont organisé à la rentrée un point presse commun pour fustiger les maladresses du gouvernement. L’occasion de rappeler l’objectif de la Conférence nationale des territoires : « aucune décision affectant les collectivités locales ne sera prise sans y être discutée ».
Depuis le ton est monté d’un cran. Et pas seulement sur la méthode. L’inquiétude grandit au sujet de la suppression progressive de la taxe d’habitation même si la confirmation du dégrèvement est la moins mauvaise des solutions. Mais rien de garantit qu’il durera. Par ailleurs, en faisant savoir que son « pacte financier » avec les collectivités locales serait assorti d’une baisse autoritaire des dotations si une collectivité n’atteignait pas les objectifs d’économie demandés par le gouvernement, le Président de la République s’est attiré les foudres des élus locaux. Même constat concernant l’endettement local que l’Etat semble vouloir encadrer. Une entaille à la libre administration des collectivités locales et une main mise de l’Etat sur l’investissement local. Inacceptable pour les élus.
Les craintes ne portent pas seulement sur les questions financières. Sur la politique du logement, la stratégie du gouvernement peine à se faire jour. Si globalement les élus locaux sont d’accord pour une refonte des dispositifs d’aide au logement, c’est pour aller vers davantage d’aides à la pierre. Or, sur ce point, rien ne semble paraître dans le choc de l’offre souhaité par le gouvernement. Est-ce à dire, comme d’aucuns s’interrogent aujourd’hui, qu’en « Macronie » on ne voue pas un amour immodéré à l’action publique de proximité ? Si la question se veut provocatrice, elle a au moins le mérite de mettre le doigt sur ce qui semble coincer aujourd’hui.
Quoiqu’il en soit le nouveau pouvoir vient de prendre un premier revers avec les élections sénatoriales, le nombre de sénateurs En Marche étant passé de 29 à 24. Un premier avertissement qui mériterait d’être entendu. Il ne saurait cependant masquer les postures de certains élus un jour acquis à la suppression des postes de fonctionnaires, le lendemain prenant la défende des emplois aidés dans les collectivités…
A l’heure où ces quelques lignes sont rédigées, l’association des Régions de France vient de claquer la porte de la Conférence nationale des territoires suite à la suppression du fonds région de 450 millions d’euros. Quant aux autres, elles viennent de demander au Premier ministre une réunion d’urgence. Une façon de calmer le jeu et d’appeler à reprendre le dialogue.
Sébastien Fournier
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