SOCIAL-DEMOCRATIE FRANCAISE : LES RENDEZ-VOUS MANQUES.

Le socialisme français s’est développé à l’écart de la social-démocratie européenne. Si l’adhésion de la SFIO à la IIème internationale en 1905 lui a permis de rejoindre les sociaux-démocrates d’Europe du nord, elle ne s’est pas pour autant ralliée à ce qu’il est convenu d’appeler « la culture du compromis ». Cette spécificité s’explique par un contexte propre à la France et bien analysé par les historiens.

Dans les pays industriels voisins, le mouvement ouvrier s’est organisé avant la conquête du suffrage universel, de telle sorte que le combat pour le socialisme et la bataille pour la démocratie se sont développés dans le même mouvement. L’articulation entre le terrain social et la scène politique représentés par des syndicats forts et des partis bien structurés s’est faite naturellement à travers une collaboration dans laquelle chacun a pu jouer son rôle.

En France, le suffrage universel s’est imposé dès 1848 dans une société encore rurale qui mettra plusieurs décennies avant de connaître un prolétariat nombreux et organisé. La fondation de la République fut davantage le fait de la bourgeoisie que des organisations socialistes, trop longtemps affaiblies par les divisions et méfiantes face à la démocratie parlementaire.

 Au début du XXème siècle, les courants réformistes étaient minoritaires  et,  en dépit des efforts de Jaurès, le socialisme français demeurait marqué  par cette prise de distance. Au fil du temps,  la division syndicale et l’affirmation d’un parti communiste puissant vont contribuer à priver la France des bases qui fondèrent en Europe la social-démocratie, tant ce qui concerne la doctrine que les comportements.

Toutefois, plusieurs occasions, si elles avaient été saisies, auraient pu changer le cours des choses ; mais ce furent des rendez-vous manqués.

Du congrès d’Amiens au congrès de Tours.

Il fallut attendre 1905 pour que les différents courants socialistes français acceptent de se rassembler dans un même parti et rejoignent l’Internationale ouvrière en fondant la SFIO. Mieux valait tard que jamais. En donnant la priorité à l’unité, Jaurès accepta temporairement l’orientation imposée par les guesdistes, plus nombreux, mieux organisés, soudés autour d’une vulgate  marxiste. Majorité lutte des classes contre minorité réformiste. Il fallut attendre le congrès de 1908 pour rassembler le parti autour de la « synthèse jaurésienne » : 

« Dans un parti vraiment révolutionnaire et résolument socialiste, l’esprit révolutionnaire réel est en proportion de l’action réformatrice efficace et l’action réformatrice efficace est en proportion de la vigueur même de la pensée et de l’esprit révolutionnaire ».

Synthèse temporisatrice habile qui permit aux socialistes de vivre ensemble ; elle se révéla fragile au lendemain de la victoire électorale de 1936 qui va conduire Léon Blum à distinguer l’exercice du pouvoir de la conquête du pouvoir.

L’unification politique socialiste aurait pu favoriser une articulation  entre le nouveau parti et la CGT née dix ans plus tôt. Bien au contraire, les syndicalistes prirent leurs distances avec un parti dominé par un guesdisme doctrinal qui minorait le rôle du syndicat. Au lieu d’être considérée comme un partenaire, la SFIO fut ressentie comme une menace. Méfiante à l’encontre des députés d’origine bourgeoise soupçonnés d’arrivisme, la classe ouvrière prétendait faire la révolution grâce à la grève générale et un syndicalisme de combat imprégné par les thèses anarchistes. A leur congrès d’Amiens, en 1906, les syndicalistes prônèrent « l’action directe » sur le lieu de production, sans le secours de l’instance parlementaire. La « charte d’Amiens » marquait une rupture entre une partie du mouvement ouvrier et les dirigeants de la SFIO. Le syndicaliste Pierre Monatte écrit : «  La classe ouvrière demeure majeure, entend enfin se suffire à elle-même et ne plus se reposer sur personne du soin de sa propre émancipation ». Malgré les efforts de Jaurès pour dépasser le clivage entre révolutionnaires et réformistes, force est de constater qu’à la veille de la première guerre mondiale, contrairement à nos voisins allemands et anglais, l’articulation de l’action des deux composantes du mouvement ouvrier français n’était  pas à l’ordre du jour. La réalité était constituée par deux entités distinctes aux origines doctrinales souvent opposées qui rendaient difficiles les rapprochements. Lorsque Jaurès dialoguait avec les syndicats et s’engageait en faveur de mouvements coopératifs et mutualistes, il était contesté par les guesdistes qui prenaient de haut le réformisme du syndicat. Eloignée du syndicalisme et du mouvement coopératif, la SFIO compta peu d’ouvriers parmi ses responsables ; privée de moyens, elle ne disposait au début du XXème siècle que d’une dizaine de permanents lorsque le SPD faisait état de 3000 « fonctionnaires du parti ». C’est donc autour des élus nationaux et municipaux que vont s’organiser les socialistes français.

La révolution bolchévique de 1917 posa en termes nouveaux la question des rapports partis-syndicats. En 1920, le congrès de Tours vit la majorité des socialistes français rejoindre l’Internationale communiste de Lénine tandis que les minoritaires demeuraient avec Léon Blum dans « la vieille maison ».  L’une des 21 conditions posées par les bolchéviques pour adhérer à la IIIème Internationale communiste, nécessitait de faire du parti le fer de lance de la révolution ; le syndicat se voyait relégué au rôle de courroie de transmission de la direction de l’appareil politique communiste. Pour simplifier, disons que Tours ouvrait une voie à l’opposé de celle d’Amiens … mais tout en s’éloignant encore davantage de l’esprit de la social-démocratie. 

Dès 1921, la naissance de la CGTU communiste consacra la division syndicale. La CGT réformiste dirigée par Léon Jouhaux se rapprocha de la SFIO tout en maintenant une indépendance qui la distinguait du travaillisme à l’anglaise. Ceux qui restaient attachés aux traditions démocratiques de la SFIO et de la CGT devinrent pour le PCF de dangereux « sociaux-traitres » qu’il fallait combattre comme des ennemis de classe. Dès lors, l’idée sociale-démocrate devint suspecte et l’anathème jeta  un doute, y compris dans une partie de la gauche demeurée socialiste. Pour échapper à l’opprobre, la SFIO ne cessera plus de réaffirmer sa vocation révolutionnaire en s’arcboutant sur une doctrine  fondée sur la lutte des classes et la volonté de supprimer la propriété privée. L’essentiel des divergences entre « frères ennemis » portait sur la conception des libertés et de la démocratie. Les diverses tentatives faites de l’intérieur de la SFIO en faveur d’une social-démocratie assumée furent taxées de révisionnisme et échouèrent.

La peur du qu’en dira-t-on communiste.

Dans le nouveau contexte international du lendemain de la guerre, le 38ème congrès de la SFIO qui se réunit du 29 août au 1er septembre 1946 aurait pu être l’occasion d’une nouvelle donne pour le socialisme français. Face à un parti communiste devenu une  puissance militante incontournable et qui rassemblait le  plus grand nombre de suffrages de la gauche, le parti socialiste allait-il redéfinir son identité ou se replier frileusement derrière la vieille doctrine ? Dans l’euphorie de la Libération, certains n’envisageaient-ils pas de faire le congrès de Tours à l’envers en rassemblant communistes et socialistes dans le même parti ? 

Face à ceux qui se réclamaient d’un socialisme scientifique, André Philip observa que la mutation sociologique changeait le caractère de la lutte des classes et nécessitait un dépassement : « la classe ouvrière doit apporter un message universel de justice, de vérité, de liberté surtout, valeurs qui ont inspiré la Résistance et qui débordent toutes les nations, toutes les classes ». Pour Edouard Depreux, l’humanisme et le marxisme ne s’opposaient pas : « L’humanisme n’est pas une déviation de notre doctrine. Ce serait exclure Jaurès du socialisme ». Daniel Mayer, avec le soutien de Léon Blum, était devenu secrétaire général de la SFIO en1943 ; il avait réorganisé le parti pendant la Résistance et représenté les socialistes au CNR. Il défendit également une conception humaniste du socialisme « face au dessèchement doctrinal » de Guy Mollet.

Léon Blum  prononça son dernier discours à un congrès. Il reprocha vivement aux amis de Guy Mollet  « le manque de foi, le manque de courage ». Et plus loin : « la polémique et le dénigrement communiste vous gagnent à votre insu et vous découragent car la force intérieure manque pour lui résister ». Il interpella rudement les congressistes : « vous ne voulez pas de la nouveauté parce que vous en avez peur ». Et il explicita son propos : « le parti a peur, il a peur des communistes, il a peur du qu’en dira-t-on communiste ». 

Daniel Mayer et Léon Blum furent battus et Guy Mollet prit la direction de la SFIO jusqu’en 1969. Dès lors, faute d’assumer  clairement leur identité, les socialistes seront condamnés à être à la remorque de l’idéologie communiste pendant une trentaine d’années. Le parti communiste devint la référence : plus on s’en rapprochait, plus on méritait son brevet de gauche. Ce qui se passe aujourd’hui entre le PS et la France insoumise résonne avec les mêmes échos. En se fondant dans la NUPES, le PS est passé sous les fourches caudines de LFI au détriment des valeurs qui avaient fondé sa renaissance dans les années 1970. Tout se passe comme si le PS était paralysé par le qu’en dira-t-on de la France insoumise. Dans les deux cas, il s’agissait bien, pour le parti dominant, de « plumer la volaille socialiste ».

D’Epinay à Metz.

La rénovation initiée par François Mitterrand visait notamment à permettre au parti socialiste de signer une alliance avec le PC de Georges Marchais. Au congrès d’Epinay de 1971, un langage de rupture avec le capitalisme fut mis en avant pour éviter de donner des prétextes aux communistes dans la perspective de la signature d’un programme commun. Il permit également de sceller un accord interne avec les marxistes du CERES de Jean-Pierre Chevènement. La voie sociale-démocrate était proscrite et ce n’est qu’avec beaucoup de réticences que le PS rejoignit les rangs de la deuxième Internationale dont les orientations n’étaient pas considérées comme suffisamment socialistes par le parti de François Mitterrand. 

En 1974, au lendemain des élections présidentielles perdues par la gauche, les Assises du socialisme  constituèrent le projet le plus abouti en direction de la social-démocratie. L’initiative était principalement portée par Pierre Mauroy pour le PS, par Michel Rocard et Robert Chapuis pour le PSU, Edmond Maire pour la CFDT. Jacques Delors ne joua pas un rôle de premier plan dans l’organisation mais il soutint la démarche et fut présent aux Assises. Ainsi, au-delà des forces politiques, le rassemblement s’ouvrait également à une troisième composante regroupant des militants syndicaux et des mouvements associatifs. C’était la première tentative pour organiser une interpénétration de type social-démocrate entre les rameaux politiques et syndicaux du socialisme français.

François Mitterrand avait certes donné un accord de principe au lancement de ce processus de regroupement de toutes les sensibilités socialistes; mais au fur et à mesure que l’on se rapprochait de la date des Assises nationales qui se tinrent à Paris les 12 et 13 octobre, les points de vue se durcirent et les assises départementales préparatoires connurent des tensions. Je me souviens d’un débat avec Jean Poperen dans le Rhône qui déclara : « Il faut choisir : organisation de classe pour la transformation réelle, révolutionnaire, de la société, ou organisation social-démocrate ». Au-delà des divergences de fond, l’arrivée de nouveaux militants aguerris dans des sections verrouillées par les courants fut accueillie avec méfiance. Il fallut attendre plusieurs années avant que ces nouveaux venus accèdent à des responsabilités réelles.

A noter qu’au cours des Assises nationales, aucun orateur ne se réclama de la social-démocratie, pas même Rocard ou Mauroy. Le mot est introuvable dans l’ensemble des discours. C’est seulement à travers le thème de l’autogestion que purent s’affirmer des nuances de pensée. 

Sur le moyen terme, la plus grande déception vint de la troisième composante qui, en dépit des efforts des dirigeants de la CFDT, fut loin d’entraîner la base espérée. Parmi ceux qui adhérèrent, beaucoup s’éloignèrent sur la pointe des pieds, découragés par les guerres de courants et un mode de fonctionnement interne étranger à la culture syndicale et associative. De son côté, en 1975, le conseil national de la CFDT  réaffirma avec netteté le principe de l’autonomie syndicale. La greffe n’avait pas pris. Le PS n’avait pas su s’ouvrir aux couches sociales qu’il était sensé représenter. Dans les années qui suivirent, les oppositions se durcirent ; Jean-Pierre Chevènement déclara en 1977 au congrès de Nantes qu’il fallait combattre l’idée d’une « social-démocratie à la française dont le rôle historique serait de gérer la crise pour le compte du capitalisme international ».

La perspective des élections présidentielles de 1981 aiguisa rapidement la rivalité Mitterrand-Rocard et le congrès de Metz en 1979 laissa peu de place aux nuances du discours social-démocrate. Les congrès socialistes se gagnent à gauche et la motion soutenue par le premier secrétaire ne lésina pas : en se réclamant de « la rupture avec le capitalisme en cent jours », elle ne laissait aucune chance aux motions de Rocard et Mauroy renvoyées à l’inconfort du parler vrai et du réalisme, prémisses de l’indignité qui renvoient à « la droite du parti ». François Mitterrand dénonça le « recentrage » et voulut que ce congrès soit une « épreuve de vérité ». De son côté, Rocard voulait « mettre en accord pratique et discours » pour rompre avec « la tradition des congrès qui se gagnent à gauche en promettant beaucoup pour, au bout du compte, gouverner au centre ». Tout en voulant « organiser la production à travers le plan », il déclara sous les protestations des congressistes: « il faut choisir entre le marché et le rationnement ». Sans doute pour éviter les huées, il ne prononça pas le mot de social-démocratie mais il en dessina les contours : « Je regrette que le socialisme se soit coupé de ses origines coopératives et mutualistes, surtout du mouvement syndical qui avait rompu avec le guesdisme au moment de la Charte d’Amiens ».

L’Epreuve du pouvoir.

Après le printemps de 1981, les difficultés de l’exercice du pouvoir rapprochèrent les socialistes de la réalité des contraintes. Dès l’automne, au congrès de Valence, le marxiste Jean Poperen dut admettre que nous devions nous inscrire dans « une stratégie gradualiste » tandis que Jospin reconnaissait au congrès de Bresse deux ans plus tard: « Au lieu de n’avoir en tête que la réforme, voilà qu’il nous faut aussi maîtriser la gestion». La politique du gouvernement avait été fortement infléchie après le départ du gouvernement de Pierre Mauroy en 1983, mais officiellement il ne s’agissait que d’une « parenthèse ». Au congrès de Toulouse de 1985, une nouvelle étape fut franchie qui permit à Jacques Delors de parler « d’un petit Godesberg », congrès allemand de 1959 qui avait vu le SPD rompre avec le marxisme et s’inscrire dans l’économie de marché. Rocard développa sa conception de l’Etat,  « non comme producteur, mais comme régulateur de la vie économique et sociale », avec une volonté de «  favoriser l’autonomie et l’initiative des partenaires sociaux. Moins de règlements, plus de négociations ; moins de lois, plus de contrats ; moins de tutelles, plus de responsabilités ». Au congrès de Lille en 1987, Jean Poperen se rallia au compromis en atténuant fortement son discours : « La voie socialiste- ou plutôt sociale-démocrate qui a toujours été la nôtre dès lors que nous avions écarté l’hypothèse léniniste- c’est de chercher les contreforts à la loi du plus fort ». Cette conversion à l’idée sociale-démocrate permit au théoricien du « front de classe » des années 1970 d’entrer au gouvernement-Rocard de 1988 et d’y jouer un rôle positif.

Comme premier ministre, Michel Rocard put expérimenter ce qu’il appelait « une société solidaire dans une économie de marché ». La « méthode Rocard » avait déjà été remarquée lorsqu’il était ministre avec les contrats de plan Etat-région et lorsqu’il avait fait voter à la quasi unanimité la loi sur l’enseignement agricole. Dès son arrivée à Matignon, le dialogue exemplaire instauré en Nouvelle Calédonie déboucha rapidement sur une issue pacifique. Après une longue négociation avec les syndicats, le changement de statut des P et T aboutit à la séparation de La Poste et de France Telecom… sans un seul jour de grève. Mise en place du RMI, création de la CSG, augmentation sans précédent du budget de l’Education nationale, recherche d’un « pacte de croissance » pour mieux répartir le produit de la croissance… autant d’avancées sociales incontestables qui, pourtant, n’obtinrent qu’un soutien critique de l’Elysée et du PS. Très vite en effet, on fit un procès en « déficit social » à la politique suivie par Michel Rocard.

Le virage de 1983 ne fut jamais remis en cause pendant le second septennat tandis qu’avec le traité de Maastricht et le référendum de 1992 (qui divisa les socialistes français), l’engagement européen de la France s’approfondissait. Les conditions étaient favorables pour un rapprochement avec les sociaux-démocrates et une mise à jour de notre doctrine. Pour autant, la « parenthèse » resta ouverte. Il fallut attendre le successeur de Lionel Jospin pour tenter une nouvelle donne. Le premier secrétaire Pierre Mauroy mit beaucoup d’espoirs dans le congrès extraordinaire qui se tint à Paris en décembre 1991 à l’Arche de la Défense. Le but était double : panser les plaies du précédent congrès de Rennes  qui avait vu le déchirement du courant mitterrandiste et remettre à jour la doctrine dans une perspective sociale-démocrate. Le texte final se distingua du thème de la rupture avec le capitalisme en lui  substituant « un rapport critique avec le capitalisme » ; c’était le fruit d’un compromis  qui manquait de netteté. Une nouvelle étape avait néanmoins été franchie en mettant en avant la recherche du compromis comme mode de régulation sociale et politique. Elle passa inaperçue car la déroute électorale des législatives de 1993 secoua le parti de vives turbulences : 3 premiers secrétaires se succédèrent en l’espace de 3 ans. 

 Michel Rocard, élu premier secrétaire au congrès du Bourget en octobre 1993, n’eut pas la possibilité d’imprimer au PS une nouvelle orientation. Conduit à prendre la tête de la liste socialiste aux élections européennes de 1994, il fut victime d’une liste conduite par Bernard Tapie, liste  soutenue en sous-main par l’Elysée et une partie du PS. Il en résulta un mauvais score qui conduisit Rocard à se retirer. Henri Emmanuelli lui succéda, avec le soutien de Laurent Fabius, Jean Poperen, Jean-Luc Mélenchon et les fidèles de François Mitterrand. La nécessité du coup de barre à gauche refit surface et le congrès de Liévin se présenta comme le congrès du « tournant à gauche ». Henri Emmanuelli déclara à la tribune « le moment est venu de restaurer le volontarisme en politique »… en même temps qu’il lançait un appel désespéré à Jacques Delors pour qu’il accepte d’être candidat à l’élection présidentielle de 1995. On avait rarement atteint un tel degré de confusion.

Heureusement, le début des années 1990 mérite d’être marqué d’une pierre blanche avec, à côté du PS mais en toute indépendance, la création de la Fondation Jean Jaurès présidée par Pierre Mauroy. Inspirée de la Friedrich Ebert, la puissante fondation allemande créée par le SPD en 1925, la fondation française va jouer un rôle international en faisant de « l’ingénierie démocratique » dans les pays qui sortaient du communisme et en faisant office de think tank social-démocrate. Elle constitue un lieu précieux de réflexion, de dialogue et d’anticipation. Trente ans  plus tard, sa fonction de propositions politiques s’est fortement développée ; elle occupe aujourd’hui une place centrale dans le débat d’idées en France et multiplie les initiatives en faveur d’une Europe sociale-démocrate.

Actualité de la social-démocratie.

Dans les années 1980, la social-démocratie européenne a été confrontée à la vague libérale anglo-saxonne. La mondialisation financière a rendu moins efficace l’action volontariste de l’Etat providence et plus difficile la distinction entre social-démocratie et social-libéralisme. D’où une confusion exploitée par la gauche radicale. Par ailleurs, les sociétés ont été bouleversées par de nouveaux défis, notamment migratoires et identitaires, qui ont favorisé le populisme d’extrême droite. L’Union européenne a pu rassembler jusqu’à 12 gouvernements sociaux-démocrates sur 15 sans que pour autant les inégalités cessent de se creuser. D’où un doute sur la pertinence de la voie choisie.

Pour autant, en dépit des difficultés rencontrées dans des pays de référence comme la Suède, la social-démocratie reste encore bien vivante dans plusieurs pays européens et le siècle écoulé permet de porter un jugement avec suffisamment de recul. Après le bilan désastreux du système communiste et les dégâts de l’ultra-libéralisme, on s’étonne que la réussite de la social-démocratie ne soit pas davantage mise en évidence : efficacité économique, progrès social, démocratie vivante. 

Il va de soi que les réussites du passé ne suffiront pas à mobiliser pour l’avenir. Dans un pays comme la France marqué depuis 1789 par les ruptures et les conflits, il faudra démontrer en quoi la méthode social-démocrate, moins flamboyante mais plus efficace et plus juste, conduit à de meilleurs résultats. Pour convaincre, il ne suffira pas de déployer le drapeau de la social-démocratie qui ne parle guère à notre histoire et demeure abstrait aux yeux des jeunes générations. Plus que les mots, ce qu’il faut retenir de la social-démocratie ce sont les valeurs, les objectifs et la méthode. La mondialisation libérale et les menaces qui pèsent sur l’avenir de la planète obligent à repenser la social-démocratie et à dessiner un nouveau cadre intellectuel pour répondre aux défis de la révolution numérique. Il faudra secouer la cendre pour retrouver la flamme.

Ces idées ne pourront s’incarner en France qu’à partir d’une  formation politique de type nouveau, parti ou mouvement, qui devra se définir sur des bases claires. Faute de quoi, on n’en finira jamais de retomber dans les mêmes ornières et de déplorer les rendez-vous manqués.

 

Au moment où la gauche tribunicienne occupe bruyamment le devant de la scène, beaucoup d’électeurs s’inquiètent de voir la gauche de gouvernement marginalisée. Au milieu du tumulte des manifestations, des excès démagogiques et des fausses-nouvelles abondamment répandues, nombre de Français désorientés sont en attente d’un discours de gauche qui renoue avec la raison, la responsabilité et la vérité. 

La réponse de caractère social-démocrate est de nature à répondre à cette attente.

17/10/2024

Gérard Lindeperg

Ancien député et ancien numéro 2 du PS

Vice-président de la Fondation Jean Jaurès

 

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