« En économie, il ne s’est rien passé…ou presque » par Pierre-Yves Cossé

Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, une majorité de Français, pas seulement ses électeurs, s’attendait à une « remise sur les rails »de l’économie française, au prix de changements parfois douloureux.

Dans les premiers mois, ils eurent des raisons d’être satisfaits : croissance plus rapide, investissements en progrès, chômage en diminution. Les sondages reflétèrent le retournement de l’opinion.

Seize mois après l’élection, le paysage et l’humeur des Français se sont substantiellement dégradés : croissance ralentie, chômage stagnant, hausse des prix, comptes extérieurs toujours déséquilibrés, endettement toujours équivalent au PIB.

En dépit d’une action gouvernementale intense, il semble qu’il ne se soit quasiment rien passé, que l’économie française souffre toujours des mêmes maux que l’action gouvernementale ne parvient pas à traiter.

La conjoncture internationale en est pour une part responsable. Après avoir été favorable, elle a joué contre Emmanuel Macron. Une économie ouverte comme la nôtre ne peut que subir le ralentissement de la croissance en Europe, le début de guerre commerciale, la hausse du prix du pétrole et les atermoiements du Brexit. Ce qui est spécifique et inquiétant, c’est que depuis le début 2018 le ralentissement a été plus marqué en France que dans le reste de l’Europe, montrant que notre compétitivité n’est pas en voie d’amélioration.

A cet effet conjoncturel défavorable s’est ajouté la fin du « choc Macron » Son élection avait infléchi les comportements des consommateurs et des chefs d’entreprise, stimulés par une orientation « pro business » plus d’achats, plus d’investissements, plus de stocks. Ce choc, qui a contribué à la reprise, n’a pas été durable.

Des erreurs dans le calendrier de mise en œuvre des mesures budgétaires et fiscales ont aggravé la dégradation de la conjoncture. En début d’année, les hausses de cotisations et d’impôts (CSG, tabac, carburants, tarifs publics) et en fin d’année ou étalées dans le temps les baisses (taxe d’habitation) ou le relèvement de prestations sociales. Et dès 2017, la réduction brutale des emplois aidés a pesé sur le marché du travail.

Une conjoncture défavorable peut-elle être compensées par des « réformes structurelles » pour reprendre le vocabulaire bruxellois ? A priori, non. Ces réformes, qui cherchent à améliorer l’offre, n’ont des effets que sur le long terme, les délais étant particulièrement longs lorsque la demande reste insuffisante. Elles peuvent même avoir un effet dépressif à court terme. C’est le cas pour le logement. La loi Elan, qui va être définitivement adoptée dans les prochains jours, ne sera nullement le choc d’offre annoncé, dans l’immédiat elle ralentira la construction de logements, suite à la baisse des prêts à taux zéro et aux prélèvements imposés aux HLM, dont la trésorerie est resserrée et qui réagissent en arrêtant ou en ralentissant le lancement de nouvelles opérations. Or l’activité logement, fortement créatrice d’emplois et à faible contenu en importations, est particulièrement bénéfique dans la situation actuelle de notre économie, pourvu que l’on améliore le zonage en orientant l’effort public là où les besoins sont pressants.

Beaucoup d’autres réformes structurelles sont sans incidence notable sur l’activité. C’est le cas pour les ordonnances sur l’emploi ; il faut que les acteurs s’approprient peu à peu les réformes, se mettant à ouvrir des négociations au niveau de l’entreprise ; le seul effet visible serait pour l’instant un moindre recours aux prudhommes…et encore la réforme avait été amorcée par Emmanuel Macron, lorsqu’il était ministre de l’économie.

 La situation n’est guère différente pour la réforme de la formation professionnelle, excellente dans son principe. Il existe des délais difficilement compressibles, qu’il s’agisse de publier des décrets d’application puis de mettre en place de nouveaux outils et de nouvelles procédures. On voit la dysmétrie : la réduction des emplois aidés est quasiment immédiate alors que l’ouverture à de nouvelles possibilités de formation professionnalisante se fera dans plusieurs années, à condition que de nouveaux crédits soient disponibles, ce qui n’est nullement assuré. Les résultats de la réforme de la santé, pertinente sur beaucoup de points, ne seront visibles qu’à moyen terme. La réforme du chômage reste à faire. Celle de la SNCF l’est également dans une large mesure, l’ouverture à la concurrence était un engagement européen déjà ancien politiquement explosif sans être l’élément central d’une politique cohérente des transports et de la mobilité

  Le Président de la République n’est nullement le maître des horloges. Il en est plutôt la victime, comme ses prédécesseurs. Il ne semble pas en avoir été conscient.

La situation serait-elle meilleure si d’autres réformes avaient été mises en œuvre ? Partiellement oui.

                            Le refus de mettre en place une structure auprès du Premier Ministre ayant en charge la réforme de l’Etat et une révision de ses missions, menant une discussion ouverte avec les partenaires politiques et sociaux, a eu pour conséquence la poursuite d’errements antérieurs, le « rabotage » des dépenses publiques sans vision d’ensemble et un recours à la mesure qui rapporte le plus, la désindexation des prestations sociales. Faute de réformes, cette politique de désindexation sera poursuivie.

                      Les choix fiscaux ont eu sans nul doute un effet dépressif. Des allègements fiscaux substantiels (ISF, prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital) ont été accordés aux plus riches, sans contrepartie du type relèvement de l’imposition des successions les plus élevées. Or leur propension marginale à consommer est beaucoup plus faible que celle de ménages aux revenus plus modestes, comme la majorité des retraités.

Cette politique fiscale vaut au Président de la République d’être qualifié de « président des riches » Cette critique, qui va perdurer durant tout son mandat, a l’inconvénient majeur de figer le débat sur la question du pouvoir d’achat des « peu ruches ». Cette question n’est guère soluble à court terme. En l’état actuel de nos structures, une augmentation du pouvoir d’achat, qui n’est pas engendrée par un supplément de production et un accroissement des effectifs au travail, se traduirait par un accroissement immédiat de nos importations, de notre déficit extérieur et une fragilité accrue de notre économie. Rien n’a été fait pour expliquer aux Français notre actuelle dépendance. Aussi la politique de limitation de la croissance du pouvoir d’achat ne saurait être comprise ni acceptée, l’effort principal n’étant pas demandé aux plus favorisés.

L’erreur initiale de l’économiste Emmanuel Macron est de ne pas avoir dramatisé la situation de départ : la France ne produit pas assez par rapport à ce qu’elle consomme, elle vit au-dessus de ses moyens. Elle a perdu ses marges de manœuvre et elle ne pourra guère réagir en cas de nouvelle crise et de remontée des taux d’intérêt. La priorité est pour quelques années à l’investissement productif et à une amélioration de la qualification des hommes. Contrairement à ce qui a été annoncé et continue d’être dit, un effort significatif n’est pas fait dans ce sens. Le programme d’investissements annoncé par Jean Pisani, n’a pas été individualisé dans les documents budgétaires, le numérique est peu stimulé, l’effort en faveur de la recherche n’augmente pas. Les contraintes budgétaires sont telles que l’on rogne sur tout, dépenses d’avenir comprises.

Il existe beaucoup de transferts dans les budgets d’Emmanuel Macron mais pas de transfert significatif au profit des activités d’avenir. Si on ne peut lui reprocher d’avoir en un aussi court délai remis l’économie française sur des bases saines, l’on doit constater que l’essentiel reste à faire. Aucun déséquilibre structurel n’est corrigé, si ce n’est le « trou de la sécurité sociale » qui serait résorbé, à condition que les hôpitaux ne succombent pas sous les efforts qui lui sont demandés.

Certes, le président dispose encore de trois ans mais il souffre de deux handicaps majeurs : la disparition du sentiment de confiance (voire de résignation) initial et le reproche de faire une politique pour les riches. Il lui faudra maintenant procéder par petites touches, expliquer et rassurer, s’occuper mois des plus défavorisés,tout en gardant le cap de la priorité à l’investissement et à la formation des hommes.

Pierre-Yves Cossé

Septembre 2018

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