A propos du Brexit, l’on a beaucoup parlé économie et finances. Probablement trop. Les adversaires ont multiplié durant la campagne électorale les annonces spectaculaires et chiffrées, plus catastrophiques les unes que les autres. L’actualité semble leur donner raison. L’agitation et la spéculation sur les marchés, les déclarations à l’emporte pièce vont agiter l’opinion pendant quelques jours, voire quelques semaines A celui qui décrira le mieux la descente aux enfers.
Puis les réalistes vont reprendre le dessus. En Angleterre, les vainqueurs n’ont pas intérêt à un ralentissement brutal des échanges et de la croissance en Europe. Il en est de même sur le continent. Les diplomates vont se mettre au travail et les diplomates britanniques sont excellents. Des compromis vont s’esquisser. On inventera un dispositif à la norvégienne ou à la Suisse. A Londres, les provocations ne seront plus de mise. Les Européens installés dans le Royaume-Uni seront rassurés. Des périodes de transition seront aménagés. Et si les intérêts économiques ne suffisaient pas, l’influence de pays conservateurs, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, qui veulent éviter un éloignement trop marqué entre la Grande Bretagne et le continent, jouera dans le sens du compromis et de l’apaisement. La France n’a pas d’autre choix que de chercher l’apaisement. Certes, les dégâts sont inévitables, surtout si la baisse de la Livre est durable, mais ce ne sera pas la catastrophe.
Une stabilisation politique pourrait prendre plus de temps.
Un comportement attentiste, dans la majorité des cas
Non pas que l’Union Européenne se défasse et que des référendums se succèdent dans plusieurs pays. Le référendum sera perçu pour ce qu’il est, s’agissant de trancher une question complexe, une modalité de la roulette russe. Et peu de dirigeants européens voudront subir le sort de Mr. Cameron. Les Européens constatant l’absence d’effets positifs dans une première période, la difficulté à défaire l’Europe et la nécessité de recourir à des solutions complexes, engendrant la mise en place de nouvelles règles, adopteront dans la majorité des cas un comportement attentiste. L’Europe peut se défaire, mais pour des raisons internes : incapacité à régler le problème des migrants toujours actuel ou une crise de l’euro facilitée par une perte de confiance envers les dirigeants européens.
Des institutions britanniques déstabilisées
S’agissant du Royaume Uni, les institutions politiques pourraient être durablement déstabilisées. Le risque le plus grand se situe en Irlande. Le rétablissement de frontières douanières et règlementaires entre l’Ulster et l’Eire suscitera un mécontentement très fort au point de mettre en cause les accords difficilement négociés entre Londres et Dublin et d’ouvrir une nouvelle période d’instabilité.
La demande d’un nouveau référendum se fera entendre à Édimbourg. La pression écossaise pourrait être mesurée, dans la mesure où la chute du prix du pétrole a mis à mal le scénario d’une Écosse indépendante. Néanmoins, Londres pourrait être tenu de faire quelques concessions, allant au-delà de la Dévolution actuelle des pouvoirs, en associant le gouvernement écossais aux négociations qui s’ouvriront avec Bruxelles.
Il n’est pas exclu que la Dévolution actuelle soit mise en cause par d’autres composantes du Royaume-Uni. Le Pays de Galles, qui vient de voter oui au Brexit, ne demandera -t-il plus de pouvoirs ? Et la « vieille Angleterre » se contentera t’elle du Parlement de Westminster, tel qu’il est? Compte tenu de la crise profonde qui atteint les deux grands partis anglais, une longue période d’incertitude risque de s’ouvrir à Londres.
Une perte du sens du réel de la part des britanniques
Mais le succès du Brexit révèle une maladie mentale, un perte évidente du sens du réel, ou si l’on préfère une cécité, dont les britanniques ne sont pas les seuls à être atteints en Europe. Que les habitants de cette grande île, qui depuis des siècles est immergée dans la mondialisation, ignorent la « repondération » du monde et le déplacement de la richesse et des forces vers le continent asiatique est stupéfiant. L’actuel Premier Ministre a souvent fait remarquer que dans quelques années il n’y aurait plus d’Etat européen dans les dix premières puissances économiques du monde. Comment croire qu’un état isolé européen puisse défendre efficacement ses intérêts par rapport à de nouveaux empires comme la Chine, l’Inde, voire la Russie ou les Etats-Unis ? Aucun « grand » pays européen n’a d’autre choix rationnel qu’une coopération étroite et un partage de souveraineté dans le cadre d’un ensemble régional. Pour la Grande- Bretagne, cet ensemble s’appelle l’Europe.
Des billevesées continuent d’avoir cours à Londres. Les « liens spéciaux » avec les Etats-Unis ? Personne n’en parle à Washington et surtout pas le président des Etats-Unis, qui était opposé au Brexit. Le Commonwealth ? Sa réalité est d’ordre culturel et sentimental.
Le déclin de l’Europe
Alors reste la drogue de l’Histoire et des heures de gloire de ce qui fut longtemps la première puissance mondiale. L’esprit de Dunkerque continue se souffler de l’autre côté de la Manche ; en juin 1940, l’Angleterre, sans allié, a tenu tête à Hitler, contrairement à toutes les prévisions des experts. Elle est la meilleure lorsqu’elle est seule. En 1945, la Grande Bretagne était dans un état comparable où se trouvait la France en 1918, victorieuse et affaiblie. Le monde a changé mais l’état d’esprit demeure.
Ne sourions pas. A court terme, l’Angleterre s’en tirera mieux qu’on le croie. A moyen terme, elle est dans l’impasse, jusqu’au moment où apparaîtra un nouveau Heath. Mais dans quel état se trouveront alors l’Europe et le monde.
La cécité n’est pas un monopole anglais. Beaucoup de continentaux en sont atteints, en France en particulier. Ils diabolisent le monde dans lequel nous vivons. Ils préfèrent, plutôt que de s’adapter, se distancier et freiner le plus possible les adaptations nécessaires. La pression est si forte que peu d’hommes politiques tentent d’y résister. Ils accompagnent les électeurs dans leur aveuglement. Ils ne savent ni ne peuvent proposer une voie nouvelle dans le monde du XXI ème siècle.
Ce matin, le déclin de l’Europe m’apparait une évidence. Non qu’elle ait perdu ses richesses de toute nature et ses capacités à inventer mais elle avance comme Œdipe, les yeux bandés, ne sachant pas à qui donner le bras.
Pierre-Yves Cossé
24 Juin 2016
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