Les leçons du 7 juin
Les élections européennes du 7 juin 2009 resteront dans les mémoires pour un taux d’abstention qui n’a guère d’équivalent. On en déduit précipitamment que la démocratie est en péril. Il y a deux ans, les français votaient à plus de 80 %, la démocratie était-elle mieux garantie ? En réalité, ces élections n’avaient rien de déterminant : elles ne changeaient pas la face du monde, pas même – malheureusement ! – celle de l’Europe. Les électeurs l’ont bien compris. Ils n’ont guère suivi ceux qui voulaient rejouer 2007 (les socialistes) ou anticiper 2012 (François Bayrou). Ils ont entendu ceux qui parlaient de leur avenir à travers l’Europe, soit pour faire face aux enjeux d’aujourd’hui (Europe écologie), soit pour se protéger derrière le pouvoir en place (UMP).
De ce fait, libérés des risques et des conséquences de leur vote, les électeurs ont pu faire entendre un message aux organisations qui prétendent les représenter. A la droite au pouvoir, bien sûr, contrainte à l’ouverture sur sa droite (extrême) comme sur sa gauche (modérée) pour rester majoritaire. Et aussi, au Parti Socialiste, et c’est ce qui nous intéresse.
Un électeur socialiste sur trois a voté Europe écologie, rejoignant ainsi les jeunes, le monde associatif et cette partie de la classe moyenne, voire ouvrière qui se définit sur des critères individuels plutôt que sur des critères de classe. Ils n’ont pas voté pour le MODEM qui est devenu le parti centriste habituel. Ils n’ont pas voté non plus pour le Front de Gauche dont le programme se réduisait à faire plus de voix que le NPA. Ces électeurs, qui ont déjà voté socialiste ou qui ont atteint l’âge de le faire, ne sont pas devenus « verts », ils sont sociaux et démocrates tout autant qu’écologistes, mais ils ne savent pas à quoi peut servir la social-démocratie aujourd’hui.
Les combats syndicaux ont permis de garantir une certaine protection sociale (il y a eu plus de manifestants en 2009 que de votants !). La droite a pu utiliser les leviers du pouvoir pour éviter la catastrophe sans pour autant changer les règles du système. Les mouvements de grève « révolutionnaire » dans les universités ont joué le rôle d’un Mai 68 de carton-pâte qui a contribué à pousser vers les urnes ceux qui craignent de perdre leur maigre bien : quelques signes d’insécurité et le tour est joué !
Dans cette situation, l’offre politique des socialistes était incompréhensible : au lieu de décliner le programme du PSE en fonction des réalités vécues, le PS s’est contenté de dire qu’il suffirait de battre Sarkozy (ce qui n’était pas l’enjeu !) et Barroso (dont le nom est beaucoup moins connu que celui de Bolkenstein). Appeler au vote utile dans une élection dont on ne démontre pas l’utilité, était un vrai tour de force !… Bref, il ne suffit pas de dire que social = socialiste pour qu’on fasse confiance aux socialistes.
Réponses archaïques
Telle est donc bien la question : comment redonner confiance dans le Parti Socialiste. A peine la question posée, viennent les réponses traditionnelles :
1. Le parti est divisé : il faut arrêter la guerre des chefs. Appelons-les des sages et réunissons-les dans un comité. Signons rue de Solférino un pacte de non-agression… Le problème, c’est que le Parti Socialiste a toujours été divisé : c’est la loi d’un parti de gauche qui correspond aux tendances, mouvements, contradictions d’une société en constante mutation. Le centralisme démocratique n’a pas sauvé le Parti Communiste. Le problème n’est donc pas la division ; c’est l’absence d’une majorité. Le Congrès de Reims, après le Congrès du Mans, a bloqué le parti en une fausse unité couvrant de fausses divisions, entretenues par la personnalisation des soi-disant « courants », avec les effets médiatiques qui s’en suivent. Durant ces dernières années, il n’y a eu qu’un moment où s’est affirmée une majorité : pour le oui au référendum sur le Traité constitutionnel européen ! On sait comment cette majorité a été incapable de faire reconnaître sa légitimité. Nous payons encore les conséquences de cette dérive. L’idéal de la démocratie, ce n’est pas l’unanimité, c’est la liberté de choisir. Encore faut-il qu’il y ait des choix…
2. Il faut rassembler la gauche : pour que rien ne bouge au PS, il faut en faire l’axe du rassemblement, d’un nouveau front populaire ! Faisons tourner les autres autour de nous, c’est le moyen d’assurer notre solidité. Ainsi en avril 2002, Lionel Jospin s’est cru suffisamment solide pour que la gauche plurielle assure son succès : on sait ce qu’il en a été. Faire en France, d’un parti qui hésite lui-même à se dire social-démocrate tant la sociale-démocratie est en crise, la base d’une construction triomphale, c’est se préparer soit à bien des déconvenues, soit à beaucoup d’hypocrisie. Le meilleur service que le PS peut rendre à la gauche, c’est d’exister et d’affirmer son identité propre, fondée sur l’histoire et l’évolution sociale.
Réponses « modernes »
Ces réponses traditionnelles étant inadéquates ou obsolètes, d’autres – plus modernes – se font jour :
1. Les primaires : puisque les électeurs nous manquent, appuyons-nous sur eux, mobilisons-les pour faire le choix d’un leader autour duquel pourra se reconstruire le parti de la gauche. Les partisans de ce processus regardent vers les Etats-Unis : les primaires ont permis de dégager des personnalités d’envergure et ont fait triompher Obama, d’abord chez les Démocrates, puis dans le pays tout entier. On oublie que précédemment, ce même processus démocratique avait fait apparaître George W Bush chez les Républicains et en avait fait le président des Etats-Unis… Donc, bien sûr, pas de garantie, mais à défaut d’avoir un président, les socialistes auraient un parti… N’oublions pas que les Etats-Unis vivent depuis longtemps, par le fait du régime présidentiel, l’alternance entre deux grands partis. En France, même sous la 5ième République, les partis ne sont guère prêts à se sacrifier au profit de l’un d’entre eux. Certes, Sarkozy l’a fait pour la droite, grâce à la « rupture » avec Chirac… tout en étant son ministre. La gauche n’est certainement pas prête à se ranger derrière un Sarkozy de gauche… L’exemple italien présente lui, les avantages et les inconvénients des primaires. Il fallait dépasser les débats internes du PDS et élargir vers le centre-gauche. La mobilisation des électeurs a permis de légitimer un candidat : une première fois cela n’a pas suffi, car le maintien de « Refondation communiste » a empêché une majorité de gauche ; la seconde fois, l’unité autour du maire de Rome n’a pas permis davantage de contrer la puissance médiatique de Berlusconi. Tel est bien le risque des primaires : elles créent une forte tendance à privilégier l’opinion au détriment de la représentation. Il faut alors maîtriser suffisamment les canaux d’influence sur l’opinion. Aujourd’hui, en France, il n’y a pas de consensus suffisant pour que des primaires désignent le candidat qui s’imposerait à l’ensemble de la gauche pour le premier tour des présidentielles. Certains proposent de désigner le candidat du PS par un appel à l’ensemble des électeurs de gauche : il aurait ainsi plus de chances de s’imposer au second tour. Si le PS reste ce qu’il est, c’est courir à l’aventure. Pour aboutir à des résultats sérieux, il faudrait au moins un accord préalable entre les socialistes, les écologistes et la mouvance associative, voir syndicale, avec, sinon l’accord, du moins la neutralité du MODEM. Les Régionales en 2010 seront un test décisif sur cette éventualité.
2. La refondation du parti : le PS a fêté son centenaire ; il a correspondu à une période historique, celle de la social-démocratie triomphante capable de mettre en œuvre à travers l’Etat un ensemble de droits et de protections pour les salariés, capable aussi de jeter les bases d’une Europe démocratique fondée sur le même modèle. Aujourd’hui, la mondialisation économique et financière, la révolution de l’internet et des nouvelles technologies, l’interpénétration des cultures, les menaces sur la planète traduisent l’ouverture d’une nouvelle période où les inégalités changent de nature, qu’elles soient individuelles (l’égalité des chances) ou collectives (les conflits entre « régions »du monde ou communautés). Il faut donc redonner du sens à la démocratie et à la vie sociale, en s’appuyant sur des individus responsables et en répondant aux enjeux collectifs par des mesures collectives négociées à l’échelle de l’Europe et du monde. Ce serait une nouvelle social-démocratie, voire une nouvelle gauche dont le nom reste à trouver. Cette démarche, très volontariste a des attraits. Elle néglige cependant la dimension historique à laquelle elle se réfère. Si l’histoire connaît des cycles, elle ne s’écrit jamais à l’avance : des régressions sont possibles ! On ne peut refonder dans un lieu indéfini ; il faut bien utiliser des matériaux du passé, même s’ils ne suffisent pas et il vaudrait mieux conserver les acquis. La tâche de refondation ne s’improvise pas : elle doit se faire à l’échelle des enjeux auxquels on veut correspondre, celui des personnes (c’est le sens d’un projet éducatif), celui des collectivités dites locales ou régionales (recomposées sur des critères de développement), celui de l’Europe, celui de l’international. Vaste programme !
Réponses possibles
Si ces réponses doivent être étudiées de près, elles ne définissent pas une ligne de conduite suffisamment crédible pour les temps prochains. La crise ouverte en 2002 aurait pu se résoudre en 2005, avec la définition d’une majorité suffisante et cohérente. Ce ne fut pas le cas et depuis les Congrès ont été non seulement inutiles, mais même nuisibles. Il y a eu un débat militant, mais il n’a servi rien. D’où la recherche d’une voie nouvelle : primaires ou refondation. Dans les deux cas, on laisse de côté la réalité militante du parti, c’est-à-dire les sections, mais surtout les élus car ce sont eux qui constituent la trame indémaillable du Parti. Il faut donc faire avec. Ce qui implique un nouveau Congrès : rien ne se fera sans un Congrès de légitimation d’une direction socialiste sur la base d’un projet majoritaire. Cette direction ne peut se confondre avec le seul Premier Secrétaire ; celui-ci ne peut plus être élu directement par les militants ; il doit correspondre à la majorité définie en Congrès (un référendum interne peut permettre cette modification des statuts).
Selon le calendrier des élections, il est alors possible pour cette direction de lancer des primaires, en fonction des alliances retenues par le Congrès, soit pour le seul Parti Socialiste, soit pour cette nouvelle alliance. Le résultat des primaires, puis des élections présidentielles pourra entraîner une refondation du parti, dans la fidélité à l’histoire du socialisme, mais aussi dans la correspondance avec les enjeux et les réalités sociales du 21ième siècle. On pourrait ainsi créer une dynamique et redonner aux électeurs qui se veulent de gauche la chance d’en être partie prenante. La confiance enfin retrouvée ? Peut-être…
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