Ce n’est pas le premier attentat terroriste en France, les tueries de Toulouse et de Bruxelles sont dans notre mémoire. Mais si les drames de la semaine dernière marquent tant le pays, c’est, plus que l’assassinat de personnalités connues, ils ont touché deux valeurs essentielles de la République française, la liberté, en voulant faire taire l’expression libre, l’égalité, en s’attaquant aux clients d’une épicerie parce que juifs. Et en visant particulièrement les policiers, et nos soldats tout autant, ce sont les institutions républicaines qui sont en cause. L’air du temps quelque peu réactionnaire, pensons aux livres d’Eric Zemmour et de Michel Houellebecq, largement médiatisés, amenait encore récemment à croire que la France est un pays qui « se suicide » ou qui s’abandonne, que la République est morte, comme il est dit dans Soumission. Cette réaction massive dans le peuple français montre qu’il n’en est rien. Il y a un attachement profond à ce qui fonde notre démocratie, et au-delà, à la liberté dans le monde, comme le montre la solidarité internationale sans précédent qui s’est exprimée dimanche.
La question, maintenant, est d’être à la hauteur de ce moment historique. Comment faire vivre durablement les valeurs de la République ? Comment maintenir la cohésion nationale ? La première tâche est de dire ce qu’il en est réellement en utilisant des mots justes.
L’expression de guerre a été discutée. On peut lui préférer le mot de « résistance ». Et cela a beaucoup de sens pour la population française. Mais le foyer du terrorisme obéit à une logique internationale. Daesh et Al Quaida mènent un combat mondial avec des combats meurtriers au Moyen Orient et en Afrique, avec des actions terroristes dans le monde. Ils ne représentent pas le monde musulman, loin de là, leurs principales victimes étant les populations musulmanes, elles-mêmes. Ils instrumentalisent politiquement l’Islam pour en faire un instrument de fanatisme. La France est déjà présente sur les fronts de ce qui est bien une guerre dans les formes diverses qu’elle prend. Il faut, donc, se donner les moyens, nationaux et internationaux, pour affronter ce défi sur tous les terrains où il se pose.
Ce qui nous interpelle en même temps est, bien sûr, la dimension endogène de ces actes terroristes. Car les trois terroristes d’aujourd’hui, et les deux de Toulouse et de Bruxelles hier, étaient de nationalité française. Ils représentent, certes, une toute petite minorité radicalisée. Mais on connaît le rôle des minorités en histoire… Le risque, nous le connaissons, il est celui d’une double radicalisation, celui d’une frange minoritaire, de jeunes, pris dans une forme de nihilisme, qui rejettent la France, qui trouvent dans la religion une justification de leur révolte et n’accordent plus aucun prix à la vie, celui d’un mouvement anti-islamiste, qui ne distingue plus l’usage politique de la religion elle-même et l’on sait que c’est sur quoi mise le Front national, ajoutant à cette confusion volontaire la condamnation de l’immigration. C’est ce qui appelle notre responsabilité, notre vigilance, et notre action.
Et, là, il ne faut pas se tromper. Evidemment, les difficultés d’emploi et la ségrégation spatiale créent des conditions pour une désespérance sociale qui nourrit la déscolarisation et désocialisation. Les profils des terroristes sont de ce point de vue significatif. Nos politiques d’intégration – dans toutes leurs dimensions- doivent être inventoriées et, certainement, redéfinies. Mais la politique et l’idéologie ont leur consistance propre. Et, les mêmes conditions sociales ne produisent pas les mêmes trajectoires individuelles. Gardons nous, donc, d’un déterminisme social trop simple. Les comportements individuels sont structurés essentiellement par des valeurs pour vivre et agir. On voit bien qu’elles ne sont pas comprises par tous. Ne pas faire la distinction entre des provocations antisémites, qui moquent la Shoa, ce meurtre de masse inouï, et la critique, par la caricature, de l’instrumentalisation des religions, non de la liberté de croire, montre l’étendu du problème. Il s’agit d’éducation évidemment. Mais c’est un ample débat dans toute la société française qu’il faut mener pour expliciter ce que son les valeurs de la République qui permettent de dégager ce qui doit être commun dans une société diverse.
Le combat pour la laïcité est là décisif. Pour la laïcité, telle qu’elle s’exprime dans la loi de 1905 évidemment, non une laïcité d’exclusion, irrespectueuse vis à vis des religions, mais celle qui garantit la liberté de conscience et la liberté des cultes, qui fait de la citoyenneté un espace commun, et assure la neutralité de l’Etat. Et ce grand débat – cette grande cause nationale- redire ce que sont les fondements de la démocratie, qui ont une portée universelle comme le montrent les réactions internationales, concerne tous les Français, les croyants comme les incroyants, les Français de confession musulmane, comme tous les autres, et pris comme des individus. Car, il serait paradoxal, comme le soulignait Olivier Roy récemment, de leur reproche d’être communautaristes et, en même temps, de leur demander de réagir en tant que communauté. Faisons, donc un effort pour être tous républicains en donnant leur véritable portée à nos valeurs qui ont pour source la volonté de permettre à chacun d’être libre.
Alain BERGOUNIOUX
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