Michel Rocard et la science, témoignage de Pierre Papon
Je souhaiterais apporter un témoignage sur les relations de Michel Rocard avec la communauté scientifique et sur la vision que celui-ci avait, me semble-t-il, du rôle de la science et de la technologie dans nos sociétés. Mes premières relations avec Michel Rocard et ses amis datent de la fin des années 1970 lorsque ceux-ci avaient rejoint le PS, en effet c’est alors que j’ai étroitement travaillé avec Robert Chapuis qui, nommé délégué à la recherche et à l’innovation du PS, préparait son programme sur ces questions dans la perspective des élections présidentielles de 1981 (Robert fut secrétaire d’Etat à l’enseignement technique dans le gouvernement de Michel Rocard en 1988). La création, en 1982, des contrats de plan Etat-région, à l’initiative de Michel Rocard lorsqu’il était ministre du Plan et de l’aménagement du territoire dans le gouvernement de Pierre Mauroy, fut une démarche marquante pour les organismes de recherche et plusieurs de ses responsables (dont moi-même pour le Cnrs) eurent l’occasion de s’en entretenir avec lui. Elle ouvrait, en effet, la possibilité d’une contractualisation des relations de la recherche avec les régions auxquelles la loi Defferre confiait des responsabilités importantes. C’est de cette époque que datent les politiques régionales de recherche et d’innovation.
Quelques années plus tard, en juin1987, à l’époque de la première cohabitation au moment où la recherche traversait des turbulences, Jacques Chirac était à Matignon, Jean Lallier, un homme de télévision ami de Michel Rocard et Lucie Degail (directrice de la mission de l’information et de la communication de l’Inserm) auxquels je m’étais joint, prirent l’initiative d’organiser un séminaire de deux jours avec Michel Rocard à l’abbaye de Sénanque en Provence sur les orientations et les perspectives de la recherche. Dans le cadre tranquille de cette magnifique abbaye cistercienne nous eûmes deux journées intenses de débats avec lui au cours desquels il eut l’occasion de poser de multiples questions à la vingtaine de chercheurs qui étaient présents sur les enjeux des neurosciences, de la biologie moléculaire et des biotechnologies, de la physique (les nanotechnologies commençaient tout juste à percer), de l’informatique, etc. Devenu Premier Ministre, Michel Rocard qui avait confié à Hubert Curien le ministère de la Recherche et de l’Espace, renouvela l’expérience lors d’un séminaire dans la région parisienne, en avril 1991 quelques semaines avant son départ de Matignon, pour poursuivre le dialogue avec la communauté scientifique (plusieurs chercheurs étrangers y participèrent). Michel Rocard avait alors souligné la nécessité d’un dialogue entre les chercheurs, les citoyens et les politiques : la science ne peut pas être un isolat dans la société.
Pour ma part, au cours de ces trop brèves années où il eut la responsabilité du gouvernement, j’ai également eu l’occasion de m’entretenir avec lui des enjeux de la politique de la mer (je présidais alors l’Ifremer), le marin qu’il était les connaissait parfaitement. Je me souviens ainsi d’une discussion en aparté que nous eûmes lors d’une cérémonie des vœux à l’Elysée, en 1991, au sujet des objectifs d’une politique maritime pour notre pays (l’avenir des ports, de la construction navale alors en crise, de la pêche). Il m’avait interrogé sur les perspectives de la recherche océanographique à un moment où les préoccupations à l’égard du climat commençaient à émerger. Avec le recul du temps et alors que nous sommes attristés par sa disparition, je retiens que Michel Rocard avait montré que les questions posées par la science à nos sociétés ne lui étaient pas étrangères et qu’il s’interrogeait sur le rôle que celle-ci jouait dans leur évolution. Son fils Francis qui est astrophysicien l’avait initié, m’avait-il confié, aux enjeux de la conquête spatiale et à ce qu’elle représente pour nos sociétés qui s’interrogent sur leur origine. Il avait aussi certainement présent à l’esprit l’exemple du scientifique de talent et imaginatif qu’était son père, Yves Rocard, qui n’avait pas hésité pas à se confronter à de difficiles questions techniques. L’intérêt de Michel Rocard pour les sciences sociales était par ailleurs bien connu et il considérait sans doute, et avec raison, que les promesses des sciences « exactes » (de la physique à la biologie) devaient être évaluées, voire jugées, à l’aune des hypothèses et des travaux des sciences sociales et humaines et de l’éthique. Autrement dit, dans ce domaine comme dans d’autres il voulait toujours en savoir plus et prendre du recul par rapport aux perspectives annoncées par les scientifiques même s’il les accueillait avec intérêt. Michel Rocard, homme du temps long, a montré par son action (les investissements d’avenir largement consacrés à la recherche et aux universités constituent sa dernière initiative dans ce domaine) et ses réflexions qu’il fut, avec Pierre Mendés France, l’un des rares hommes politiques à avoir pris en compte l’importance des défis que posent la science et la technique à l’action politique dans nos sociétés.
Pierre Papon (physicien, professeur émérite à l’ESPCI, ancien Directeur Général du Cnrs et ancien PDG de l’Ifremer)
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