« Situation des droites » : contribution d’Alain Bergounioux

Bergounioux« Situation des droites »

La préparation de l’élection primaire pour désigner le candidat des « Les Républicains » et de l’UDI pour l’élection présidentielle commande, évidemment, depuis des mois déjà, et commandera encore plus, la compréhension des positions et des comportements des dirigeants des partis de droite. Elle entraîne, en effet, une forte personnalisation et une surenchère programmatique, quitte à tomber dans la démagogie, comme l’a montré récemment Nicolas Sarkozy avec son « contre choc fiscal », qui creuse les déficits qu’il entend combattre… Mais avant d’analyser l’actualité, il faut prendre en perspective ce qu’a été l’évolution des droites depuis une trentaine d’années. Car les problèmes de la droite ne tiennent pas qu’à l’élection primaire… les divisions étaient fortes sans elle, pensons à 1988 et 1995 !

Pour comprendre la situation actuelle, il faut partir des années 1980 quand se met en place ce qui s’affirmera de plus en plus comme une tripartition de la vie politique. Le Front national atteint, en effet, d’emblée, 10 % de l’électorat aux élections européennes de 1984 et 14 % à l’élection présidentielle de 1988. Le Front national de ces années n’est pas le Front national d’aujourd’hui – il est alors un parti « bourgeois », faisant ses meilleurs scores dans les quartiers riches des grandes villes, avec un programme ultra-libéral (jusqu’à réclamer l’abrogation de l’impôt sur le revenu…), nationaliste et xénophobe. Il a, immédiatement, posé un problème à droite. Qui se souvient que Valéry Giscard d’Estaing avait dit, en mars 1984, que les électeurs du Front national « sont des français comme les autres qui expriment leur mécontentement et leur volonté de voir traiter les problèmes différemment. » ? Plusieurs leaders importants des droites, Charles Pasqua mais aussi Jean-Claude Gaudin, alors, prônaient une alliance électorale. En 1986, des accords ont été passés entre le RPR-l’UDF avec le FN à l’issue des élections régionales – ce qui permit l’élection d’un président de droite dans cinq conseils régionaux. D’autres dirigeants refusèrent cette perspective, au centre, avec le Centre des Démocrates Sociaux, et avec des personnalités comme Raymond Barre ou Simone Veil. La question des alliances possibles a divisé la droite et la divise encore. Le processus de « triangulation » avec une partie des thèmes du Front national, particulièrement sur la sécurité et l’immigration, n’a pas attendu Nicolas Sarkozy, qui l’a porté, il est vrai à un haut niveau en 2007 et en 2012.

Mais, un autre fait majeur s’est produit dans ces années 1984-1988. Le RPR, qui avait succédé à l’UDR, sous la conduite de Jacques Chirac (avec Edouard Balladur et Alain Juppé…) a abandonné peu ou prou son référentiel gaulliste dans son idéologie – même si un courant se voulant fidèle au gaullisme s’est maintenu jusqu’en 2002, avec Charles Pasqua et Philippe Seguin. Mais la majorité du RPR a adopté une perspective libérale, pour toutes les questions économiques et sociales, acceptant, en même temps, les principes de la construction européenne (bien loin de l’appel de Cochin !). Ce rapprochement idéologique s’est fait dans le sens de l’UDF giscardienne –ce qui a permis à VGE d’affirmer qu’il n’y avait plus désormais de différence idéologique à droite. La plateforme commune RPR-UDF de 1986 prévoyait, entre autres, le recul de l’âge de la retraite, la réduction du nombre des fonctionnaires, la suppression de l’ISF, des coupes importantes dans les dépenses publiques, etc…

Elle peut se relire aujourd’hui, et on croirait voir les propositions qu’égrènent les livres des candidats à la primaire… Il y a certes eu des inflexions depuis trente ans – le plus souvent tactiques comme Jacques Chirac pour contrer Edouard Balladur (avec le temps de la « fracture sociale » !).

Mais elles n’ont pas duré, mai 1995 est suivi de décembre 1995… Il est frappant, aujourd’hui, de constater que c’est le « gaullo-seguiniste » d’origine, François Fillon qui prône un « choc libéral » et qui a le programme le plus « dur » de tous les candidats (du moins jusqu’à aujourd’hui). Les différences, alors et encore, ont tendu à se marquer beaucoup plus sur les questions de société, l’immigration, les droits des minorités, la laïcité et les religions etc que sur les questions économiques. L’idée d’une « confédération » RPR-UDF fut émise pour la première fois par Edouard Balladur. L’UMP, en 2002, en fut la « concrétisation ». L’unification n’est, certes, pas complète, François Bayrou l’a refusée, et l’UDI demeure. Mais une vulgate idéologique économique s’est imposée, déroutant malgré tout des fractions de l’électorat. Les rivalités d’ambition, toujours fortes, sont apparues davantage pour ce qu’elles sont, ne portant pas des projets vraiment différents pour les dimensions essentielles. Il est, donc, compréhensible que la question stratégique, le rapport au Front national, qui a cru en importance depuis lors et a muté, est devenue la principale cause de division. Mais ce qui tend désormais, à caractériser la vie politique quotidienne à droite, c’est la concurrence, les transactions et les variations sur une gamme programmatique à peu près commune dans les matières économiques et sociales.

Cela fournit un cadre d’analyse pour aider à appréhender les rivalités actuelles. Comment comprendre la domination d’Alain Juppé dans les sondages et le faible score de Nicolas Sarkozy qui avait pensé, en prenant le parti (où il a, d’ailleurs, consolidé sa domination en faisant récemment élire des secrétaires départementaux le plus souvent sarkozistes dans les fédérations), asseoir une influence prépondérante ? L’ancien Président a, de fait, sous-estimé l’ampleur du rejet qu’il suscite.

C’était clair, déjà, pour l’électorat de gauche et l’électorat centriste, mais ce rejet touche également des parts de l’électorat de droite – même si le coeur des militants et des sympathisants de « Les Républicains » demeure encore acquis à Nicolas Sarkozy. Il faut voir que tous les candidats, à côté d’Alain Juppé, François Fillon, Bruno Lemaire, Nathalie Kosusko-Morizet, Hervé Mariton, même Nadine Morano, critiquent l’ancien Président. Alain Juppé profite de cette rente de situation. Mais pas seulement. Toutes les études, en effet, indiquent que l’électorat de la primaire sera majoritairement âgé – avec une prépondérance des retraités -éduqué, intéressé à la politique. Les désavantages d’Alain Juppé, qui n’incarne pas le renouvellement, sont moins graves dans cet électorat. Et, ce qui lui est reproché par le coeur des militants, trop de complaisance vis-à-vis du centre, sur laquelle Nicolas Sarkozy ne cesse d’insister, correspond ainsi à ce que voulait être l’UMP, unir la droite et le centre – exigence forte dans une situation de tripartition électorale où l’efficacité prime. Trois éléments favorables pour Alain Juppé qui pourraient toutefois être remis en cause, si Nicolas Sarkozy était empêché de se présenter (c’est bien ce qu’espère François Fillon !), alors sa candidature n’aurait plus la même nécessité.

C’est là qu’il faut revenir sur les dernières élections régionales. Nicolas Sarkozy, en effet, a commis une faute politique. En poursuivant sa ligne du « ni-ni », il n’a pas vu que dans l’électorat même de « Les Républicains » -malgré des porosités réelles sur les thèmes de l’immigration et de la sécurité, de l’hostilité à l’Islam -une conscience a été prise (plus nette qu’il y a quelques années, mais qui avait été déjà visible dans les élections départementales) que le Front national était plus qu’un adversaire et pouvait être un ennemi. Le programme économique inquiétant et flou de ce parti – dans un pays tétanisé par la crise économique -nourri la défiance. Et, la manière dont Nicolas Sarkozy a méprisé les choix de Xavier Bertrand et de Christian Estrosi a été mal jugée par une part importante de l’électorat même de « Les républicains ». Le Front national, lui, a compris la portée de ce phénomène. Les réflexions stratégiques qu’il a mené les 5-6-7 février derniers le montrent.

Mais pris dans ses contradictions, n’osant remettre en cause ses fondamentaux contre l’Union européenne et ne pouvant trancher entre la ligne « étatiste » et « libérale », il a décidé a minima de s’adresser en priorité à l’électorat des petits patrons et des travailleurs indépendants, en le ciblant par des mesures libérales (baisse des charges, etc…), pour faire oublier sa politique économique d’ensemble. Il est trop tôt pour savoir si cela sera efficace. Mais il est clair que, pour les droites, le problème de l’attitude à avoir vis-à-vis du Front national va se poser à frais nouveaux.

Les jeux ne sont évidemment pas faits – des évènements nouveaux peuvent remettre en cause les tendances à l’oeuvre aujourd’hui. Les élections primaires – dont toutes les dimensions n’ont pas été analysées en 2011 – montrent que si le parti les organise, il ne les fait pas. Caractéristique a été le déroulement du Conseil national de « Les Républicains », ce week-end. Nicolas Sarkozy tente de tirer parti de toutes les ressources de la présidence du parti – y compris les choix pour les investitures législatives annoncées en juin -date évidemment contestée par ses concurrents. Mais, l’absence de ses principaux concurrents pendant son discours, et leur refus d’accepter pour solde de tout compte la ligne qu’il veut imposer dans un texte proposé aux militants, traduit la dureté de l’affrontement qui se noue actuellement. L’essentiel se joue dans l’opinion et, tout particulièrement, dans l’électorat susceptible de voter – mais qui est aussi influencé par les mouvements de la grande opinion. Et, là, au-delà de l’opposition actuelle entre les personnalités, deux visions stratégiques principales s’opposent. D’une part, celle de Nicolas Sarkozy qui fait le pari de la droitisation accentuée de l’électorat, amenant, par là-même, à tutoyer le Front national – ligne que radicalise Laurent Wauquiez avec le plus de force, attaquant directement même les Français naturalisés.

D’autre part, la vision privilégiée par Alain Juppé, qui conduit à occuper une position centrale. Cela explique, aussi, les hésitations du Centre. Celui de François Bayrou, candidat dans le premier cas de figure, mais pas dans le second. Celui de l’UDI, compliqué par les oppositions de personnes, entre Hervé Morin et Jean-Christophe Lagarde, le premier désireux de rallier Alain Juppé, immédiatement, sans que le centre ait un candidat, le second, prêt à l’être, avec l’appui de Nicolas Sarkozy, pour prendre des voix à Alain Juppé… mais risquant alors de compromettre la ligne centriste.

Ces éléments d’analyse montrent qu’une victoire de « Les républicains » n’est pas assurée. Et il n’est pas évident que le vainqueur de la primaire, quel qu’il soit, ne doive pas affronter un autre candidat. Les contradictions internes ne sont pas résolues ! « Les Républicains » connaissent une rétraction de leur influence électorale, mais, il ne faut pas oublier que leur force a été, cependant, et peut encore être de bénéficier de voix de gauche face au FN – sans que la réciproque ne soit vraie. Il est donc clair que les socialistes doivent sortir de leurs seuls débats internes pour occuper le terrain de l’intérêt général. Ils doivent, en même temps, mener une critique d’ensemble des propositions économiques et sociales communes à tous les candidats de la primaire à droite. Car, leurs choix ne prennent pas en compte les problèmes d’avenir du pays, ils constituent plutôt un retour vers le passé. Les programmes de 1986-1988 peuvent être comparés, presque terme à terme, avec ceux de 2016-2017 ! Symbole supplémentaire, à Yvon Gattaz, patron du CNPF, a succédé Pierre Gattaz, au MEDEF ! Il n’y a que le sigle qui change, les revendications sont les mêmes. Les socialistes sont, donc, face à un problème stratégique et à une question programmatique.

Alain BERGOUNIOUX

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