Revaloriser le travail des seniors…et des autres par Marc Deluzet

Au lendemain d’une journée syndicale d’action peu probante, après un succès électoral certes modéré, mais que la politisation du scrutin par la gauche a transformé en véritable victoire électorale, le Premier Ministre propose de repousser l’âge légal de départ en retraite au-delà de 65 ans. Cette annonce marque la volonté du gouvernement de conserver son avantage politique acquis dans la période.

Cette provocation n’est pourtant guère crédible. En effet, seulement 38% des Français âgés de 55 à 64 ans occupent aujourd’hui un emploi, quand la moyenne européenne est de 45% et le taux en Suède de 70% pour cette même tranche d’âge. Proposer de porter de 65 à 67 ans l’âge légal de départ en retraite – c’est-à-dire l’âge à partir du duquel l’entreprise peut obliger ses salariés à la quitter – ne change rien sur l’âge réel du départ en retraite, qui reste en moyenne très inférieure à 65 ans et dépend surtout de la durée de cotisation minimale nécessaire pour percevoir une retraite complète. Cette annonce est avant tout affaire de communication politique.

Cette mesure n’aurait pas plus d’efficacité pour allonger la vie professionnelle des salariés que n’en a eu depuis 1981 le maintien de l’âge légal à 65 ans. En revanche, elle aurait un grave effet pervers, celui d’inciter certains cadres à négocier de fortes indemnités pour accepter de partir avant cette limite d’âge repoussée.

Alors pourquoi une telle annonce aujourd’hui ? Parce que la crise va accélérer l’aggravation des déficits prévus des régimes de retraites, notamment le déficit du régime général et poser à nouveau rapidement la question de l’allongement de la durée de cotisation à 41 ans. En brandissant l’épouvantail du départ légal au-delà de 65 ans on prépare un allongement de la durée de cotisation.

Le gouvernement a également une autre raison : la nécessité d’augmenter le taux d’emploi des seniors avant 65 ans, pour rejoindre l’objectif fixé par l’Union européenne. Dans cette perspective, il a publié à la fin mai un décret fixant à 1% de la masse salariale la taxe qui sera prélevée sur les entreprises, en l’absence d’accord avec les représentants syndicaux de leurs salariés ou de plan d’action pour maintenir dans l’emploi les plus de 55 ans. Envisager de reporter à 67 ans, voire 70 ans, l’âge de départ légal en retraite, donne un signal clair aux entreprises, sur sa détermination concernant l’emploi des seniors, malgré la crise et la montée du chômage.

Face à cette offensive, l’attitude de la gauche ne peut pas être un simple anti-Sarkozy primaire. On vient d’en prendre.

D’une part, il serait irresponsable de nier la nécessité d’augmenter le taux d’emploi des salariés âgés de 55 à 64 ans : il est inconcevable que l’expérience acquise par ces salariés soit perdue avec leur exclusion brutale de l’entreprise et l’emploi des seniors constitue un apport de croissance indispensable à notre économie, incontournable pour le financement des régimes de retraites.

D’autre part, notre priorité absolue doit être de réduire les inégalités en favorisant le départ des salariés dont l’espérance de vie au départ en retraite est, pour diverses raisons, plus faible que la moyenne : nous devons réclamer les négociations sur la pénibilité, promises par la loi Raffarin mais refusées par le MEDEF.

Enfin, et cela constitue une ambition de plus longue portée, nous devons mettre le phare sur un mal français particulièrement inquiétant : la perte d’intérêt des salariés pour leur activité professionnelle à partir de 45 ans et leur envie d’y échapper le plus vite possible. Elle ne témoigne pas d’un art hexagonal de la paresse, mais d’une dévalorisation du travail, liée à son intensification, à la dégradation des conditions de travail due aux nouvelles organisations deshumanisantes, à la perte du sens de l’activité professionnelle, pour des catégories de salariés de plus en plus importantes. Il y a une crise de la valeur travail qui ne peut être simplement résolue par des heures supplémentaires ou un surcroît de rémunération. Elle exige davantage de démocratie, davantage de coopération, davantage de partage du pouvoir dans l’entreprise.

Dans la revalorisation de la valeur travail, il y a une différence fondamentale d’approche entre la gauche et la droite, qui distingue le bien être au travail de la souffrance rémunérée, qui soutient la quête de sens par la participation aux décisions, qui préfère la solidarité aux inégalités d’espérance de vie, qui choisit l’émancipation et l’épanouissement des hommes plutôt que la justification gestionnaire de leur asservissement.

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