JOURNAL DE CRISE VIII : Au Fil des jours…

La vie quotidienne de chacun est unique. Une synthèse de millions de vies de confinement est impossible. Les observations et constats faites par l’un seront jugées par l’autre inexactes, banales ou inappropriées. Ce sera le cas pour les lignes qui suivent.

STOCKAGE.

L’annonce du confinement a précipité les Français dans les magasins. La crainte qu’ils leur soient complètement interdits de sortir de chez eux a provoqué le besoin de stocker ce qui correspondait, selon eux, aux besoins de première nécessité. De plus, l’utilisation du mot guerre a déclenché la peur de la pénurie et du rationnement. Priorité a été donnée à ce qui se conservait comme les pâtes, le riz, le sucre (mais pas le miel…) Ont été négligées légumes et fruits jugés moins nécessaires ou difficiles à conserver.
Une priorité a surpris les personnes âgées, les rouleaux de papier de toilette. Durant leur enfance, elles ne connaissaient que le papier journal, dont l’usage subsistait à la campagne durant les années 50. Signe de confort, une utilisation brutale du papier journal suscitant des irritations, mais pas signe de survie. Des spécialistes éminents expliqueront la valeur de totem du produit et sa dimension psychanalytique. Me souvenant d’une anecdote vraie, le papier de toilette me semble lié au temps de paix. Au début des années 50, l’huissier qui se tenait dans l’antichambres du bureau de l’éminent directeur de Sciences Po, Jacques Chapsal, passait la majeure partie de son temps à découper, à partir des journaux des jours précédents, des carrés de papier. Ces carrés de papier journal se retrouvaient dans les WC pour usage externe. Un jour, l’on vit des graffitis sur les murs (de mon temps, les graffiti politico- érotiques étaient fréquents chez les garçons, et l’on changeait de WC pour découvrir les meilleurs de la semaine) Était écrit en lettres majuscules : Nous voulons du papier de soie pour nous torcher le chapsal » Il obtint satisfaction, nous étions en temps de paix. Un aveu, la dernière personne qui m’a rendu visite avant le confinement total m’a apporté plusieurs paquets de rouleaux. J’ai de quoi tenir pendant plusieurs pandémies.
 

ALIMENTATION.

En temps de « guerre » ceux qui en ont les moyens et redoutent le manque du lendemain – le stockage semble se poursuivre- compensent l’angoisse par la nourriture ou la boisson. L’on passe plus de temps à table, l’on boit plus (les vents d’alcool ont augmenté mais pas la consommation, semble-t-il), tout est prétexte à collations. Pour d’autres, au contraire, l’angoisse et le manque d’exercice coupent l’appétit et ils s’alimentent plus légèrement. Quel comportement l’a emporté et pour quel type de nourriture ? Une nourriture de « guerre » celle qui avait été stockée ou une nourriture du temps de paix, plus diversifiée, puisque l’approvisionnement en ville est toujours resté relativement abondant, en dépit de vides sur quelques présentoirs.

Même si les Panzani reculent, Il semble que les légumes et les fruits aient continué d’être dédaignée. Il est vrai que les arrivées sont irrégulières et que les prix ont augmenté, faute d’importations espagnoles, surtout dans les supérettes de proximité. Dommage, la gariguette française est excellente. Plus de 200 000 volontaires se sont mobilisés pour sauver fraises, asperges et tomates tandis que des circuits courts de distribution étaient créés.

Céder aux délices du sucré, sous toutes ses formes, offre une autre évasion et les vitrines d’Œufs de Pâques pourraient être dévalisées. Le contenu de l’assiette peut aussi être influencé par un changement du partage des tâches dans les familles, courses, cuisine, de même que le mode d’achat a des incidences. ; drive-in, magasins de proximité, et télécommandes plutôt que les grandes surfaces. A la fin du confinement, chacun montera sur la balance et appréciera le résultat.

Le sexe est théoriquement une autre compensation possible, mais sa pratique est soumise à de fortes contraintes. Il est peu probable que durant la période, la consommation augmente sensiblement. Des frigidités temporaires pourraient bloquer les relations.

Occupations.

La première semaine, beaucoup ont cru qu’ils allaient disposer de temps pour s’adonner à leurs hobbys favoris. Ils se trompaient le plus souvent. Dans les familles avec enfants, les tâches ont été multiples : encadrer le télé-enseignement, faire patienter en cas de saturation des sites, aider à la confection des devoirs, trouver parfois les réponses en fonction de ses capacités sans se substituer au maître, occuper les soirées et les week-ends par des jeux et des activités. De plus, les corvées d’une vie commune tombent tous les jours et de temps à autre, et parfois ce sont « les pétages de plomb » qu’il faut gérer.

Le téléphone a repris de l’importance dans la vie quotidienne. Lorsque le téléphone fixe avait été conservé, un appel avant crise, en cours de journée, était considéré comme un dérangement (encore un marchand de tapis ou un organisme de sondage…) Depuis le confinement, des amis, avec qui les relations s’étaient espacées et qui ne connaissent pas votre numéro de portable, viennent prendre de vos nouvelles. Ces appels font plaisir et les conversations sont longues. De même, vous appelez de vieilles connaissances dont vous n’aviez plus entendu les voix depuis plusieurs années, en privilégiant les personnes isolées qui ne se déplacent guerre du fait de l’âge ou d’un handicap. A la vérité, le confinement change peu de choses pour ces personnes, elles ne sortaient guère, elles sortent encore moins, mais elles reçoivent plus d’appels téléphoniques et se sentent un peu moins seules. Le téléphone, combiné avec WhatsApp et Skype entretient les relations avec la famille et est consommateur de temps. Au bout d’une dizaine de jours, le zèle téléphonique faiblit et ne restent que les échanges téléphoniques avec les proches, les autres diminuent ou sont moins longs. Et le retour au mail économise du temps.
 

La télévision occupe un peu plus de cinq heures par jour, soit une heure de plus qu’avant confinement. Pour un certain nombre de jeunes, absorbés par les réseaux sociaux, la pratique est nouvelle. Pourtant, certaines émissions ont été supprimées et les rediffusions sont fréquentes. Les abonnements à Netflix et à Canal+ sont nombreux. L’écoute des radios augmente, elle aussi, mais elle est compatible avec d’autres activités.

 

Le besoin de s’informer, voire même d’échanger sur les ondes, est pressant, au moins pour une majorité de la population, alors que le recours à la presse quotidienne est malaisé, sauf pour les abonnés. Les interviews de médecins, souvent de bons vulgarisateurs, sont appréciés du public : ils savent (pas tout) ils instruisent et ils mentent moins que les politiques. Pendant les premiers jours, les Français ont été assoiffés de connaissances sur le virus et des milliers ont posé des questions sur les chaines de télévision et de radios, plus pour satisfaire un besoin de parler que pour la réponse.

 

Ils attendent le bilan du jour même s’il est imparfait et incomplet. Les statistiques de décès ignorent encore une partie des personnes âgées mortes dans les EPHAD et les décès intervenus à domicile. Les statistiques françaises de nouveaux cas sont fortement minorées par le faible nombre des tests pratiqués. Les comparaisons internationales sont peu probantes, à l’exceptions des personnes hospitalisées et mises en réanimation. La statistique la plus significative serait le supplément de morts par rapport aux années passées pour la même période. Cette évaluation permettrait de relativiser le choc actuel mais l’INSEE ne sait la faire qu’avec retard. Les chiffres actuels sont souvent le point de départ à des hypothèses hardies prédire de prédiction de la fin du confinement. Pour l’instant, c’est le « choc santé « qui intéresse le plus même s’il est de troisième ordre d’un point de vue démographique, par rapport à un « choc économique »de première grandeur. Avec le temps, un renversement pourrait s’opérer progressivement. L’accoutumance au risque de mort progresse tandis que grandit l’inquiétude des fins de mois. Les chiffres des pertes économiques quotidiennes engendrées par le confinement seront examinés chaque soir avec inquiétude.

Le virus a chassé des écrans et des ondes tout ce qui ne le concerne pas. Les autres nouvelles ont disparu et des continents comme l’Afrique ou l’Amérique Latine sont négligés. Pourtant, ceux pour qui la mort n’a pas d’importance et qui militent pour la fin du monde, les gens de Daech ou de Bocco Haram, ne doivent pas rester inactifs. Que se passe t’il en Lybie, en Syrie, au Yémen ou au Mali ? On le saura après la crise.

 

Après les enfants, le téléphone, la télé et la radio, les réseaux sociaux et la cuisine, vient le temps de combler des retards, des rangements qui ne peuvent plus attendre, du courrier délaissé alors que la poste fonctionne, des formalités à remplir pour vérifier votre situation vis-à-vis de votre employeur ou de l’administration. Si vous avez besoin d’interroger par oral votre banquier, ce sera moins facile que ce qui est répété sur les ondes.

Une autre occupation est possible pour les plus actifs en bonne santé qui ne peuvent supporter d’être inutiles. La Réserve Sanitaire ou mieux Renforts Covid attendent leurs offres de service, comme les exploitants agricoles. Avec un peu d’imagination, d’autres actes de solidarité peuvent être une occupation utile et prenante.

 

Enfin, les hobbys. Si vous voulez vous y consacrer, le préalable est une lutte contre la dispersion excessive, et l’improvisation permanente. Etablir des emplois du temps et mettre fin aux grasses matinées, hors week-ends, sont des efforts payants.

Des hobbys sont difficiles voire impossibles en appartements : la pâtisserie oui, mais la musique non ; la lecture oui mais le bricolage peut être, perceuses exclues ; yoga et méditation si l’environnement n’est pas trop bruyant, et pourquoi pas le bridge et les échecs à la télévision. Les courageux se mettront à l’apprentissage d’une langue étrangère en prenant la ferme résolution de continuer après.

 

Confinement et temps libre peuvent être une source d’expériences existentielles. Vous voyez les autres et vous-mêmes comme vous êtes. Les masques tombent. Une nouvelle réalité prend forme. La nuit, durant les insomnies, vous réfléchissez à la suite et aux conséquences éventuelles que vous en tirez pour la vie d’après. Peut- être, voudrez -vous garder une trace de vos découvertes et écrire.

Que restera t’il après la crise ? Un retour aux pratiques antérieures, une inflexion des manières de vivre, ou un changement de vie ?

 

Pierre-Yves Cossé

8 Avril 2020

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