A propos de l’affaire Benalla
Pour quiconque a fait un peu de politique, le cheminement est facile à suivre.
Premier temps : campagne du candidat
Le candidat manque de moyens et de militants corvéables à merci. Toutes les bonnes volontés sont accueillies, sans possibilités de contrôle sérieux. Se présentent des semi-oisifs à la recherche d’une expérience, des ambitieux et des militants convaincus et désintéressés. Bien sûr, le semi-oisif peut être ambitieux et l’ambitieux avoir des convictions fortes. Chacun trouve progressivement sa place en fonction de ses affinités et de son efficacité. Alexandre s’impose rapidement et devient indispensable, au point d’être le contact entre les exécutants du troisième étage et les chefs du sixième.
Second temps : après l’élection
Le candidat a échoué. Les bonnes volontés se dispersent. Le candidat ne leur avait rien promis. Beaucoup disparaitront définitivement, notamment les ambitieux.
Le candidat est élu et les difficultés commencent. Certaines bonnes volontés disparaissent également ou tout au moins sortent du premier cercle car la politique n’est pas leur métier. D’autres attendent leurs récompenses, c’est-à-dire un poste. Alexandre était de ceux-là.
L’élu devrait être impitoyable et procéder à une sélection stricte, en s’appuyant sur les enquêtes des services administratifs, fiscaux ou judiciaires. L’opération est délicate : le nouvel élu est sollicité de toute part, il peut se méfier des services officiels qui ne voient pas arriver d’un bon œil ces intrus qui pourraient leur prendre leur place et il a envie de continuer à travailler avec ceux qui l’ont si bien servi.
Emmanuel Macron commet sa première faute. Il ne procède pas à une enquête approfondie, même pour une fonction de sécurité où l’impétrant doit être au dessus de tout soupçon. Or Alexandre Benalla traînait déjà quelques casseroles ; il avait été congédié pour faute grave selon Arnaud Montebourg et dans son métier de policier privé, son comportement avait à plusieurs reprises frôlé l’abus de pouvoir d’après la police officielle, peu indulgente, il est vrai à l’égard de ceux qui attentent à leur monopole.
Troisième temps : à l’Elysée
Un président peut considérer que le concours de policiers privés lui est nécessaire, soit que sa confiance à l’égard d’une police officielle, parfois peuplée d’adversaires politiques, ne soit pas totale, soit qu’il veuille mener des investigations complémentaires, voire des opérations risquées à la limite de la légalité. Dans ce cas, des précautions sont indispensables. Ces collaborateurs ne sont jamais en première ligne et il doit toujours y avoir un intermédiaire entre le président et eux. Ils ne doivent ni avoir leur bureau à l’Elysée ni apparaitre sur l’organigramme officiel ni disposer d’un logement de fonction dans une résidence dépendant de la présidence. Ce sont des hommes de l’ombre.
Rappelons qu’aux Etats-Unis, le service de protection du Président est une sorte d’état dans l’état sur lequel le président n’a pas de prise directe.
La seconde erreur est que le Président n’a pris aucune de ces précautions. Alexandre Benalla figurait sur l’organigramme, se montrait à l’Assemblée Nationale, avait un titre officiel et un logement de fonction quai Branly, où habitaient sous la présidence Mitterrand Anne Pingeot et Mazarine.
Le temps des copains
Les collaborateurs d’un Président ne sont ni ses amis ni ses copains. Il doit maintenir la distance, quelque soit l’âge du Président et des collaborateurs. Cela est difficile à l’égard de proches, avec qui l’on a passé des jours et des nuits souvent tendues et difficiles, échangé des confidences et des services. Le comportement sage est à la Giscard : être courtois en permanence mais exiger le vouvoiement, remercier mais garder la distance, ne pas se lier d’amitié et être capable de congédier à la moindre incartade. Ne pas mélanger les monde et se conduire en Grand oublieux, capable d’injustice.
La troisième erreur présidentielle est d’avoir traité Alexandre en copain que l’on tutoie et que l’on introduit dans sa vie privée, avec qui l’on échange des plaisanteries et des insultes amicales et à qui on finit par tout pardonner.
Le comportement actuel du président est celui d’un ado qui voit partir un de ses meilleurs copains. Il fuie le réel et se drape dans une dignité jupitérienne ou néogaulienne qui n’est pas de mise.
N’y avait-t-il pas quelqu’un dans son entourage proche qui ait été capable de ramener à temps l’ado à la raison ? Cela aurait pu être le rôle de Brigitte, « une vieille ». Mais si elle-même était devenue la copine d’un dynamique jeune homme de 26 ans ?
Il n’est pas de président – même exceptionnellement intelligent – sans failles personnelles. L’important est qu’il soit conscient de ses failles et qu’il prenne des précautions pour s’en prémunir.
Pierre-Yves Cossé
22 juillet 2018
Qu’est-ce qui nous dit que Benalla n’est pas plus qu’un copain ?