L’Europe souffre d’une double difficulté : elle peine à définir son identité et à élaborer un nouveau projet

En 1924, Paul Valéry dans sa conférence sur « La crise de l’esprit » montre qu’il convient de répondre à deux questions concernant l’Europe : il s’agit, d’une part, de fournir des éléments de réponse à la question de l’identité de l’Europe (qui ?) ; il convient, d’autre part, de s’interroger sur le projet européen (quoi ?).

L’Europe souffre d’abord d’un problème d’identité. Elle doit se définir pour trouver sa véritable inspiration. L’Europe doit s’interroger afin de déterminer ce qui fait sa spécificité, et ainsi dégager les valeurs sur lesquelles elle pourrait établir son unité.

Il y a plusieurs problèmes relatifs à cette identité : son nom introuvable ou difficilement identifiable1; son histoire qui interroge et sa géographie qui divise ; la dimension religieuse pose la question de la nature chrétienne de l’Europe ; son essence qui prend peut-être sa source dans la raison (pour E. Husserl « l’héroïsme de la raison » est européen) et l’esprit critique ; ainsi que sa raison d’être qui se matérialise certainement dans la recherche de l’idéal, dans la quête du bonheur, et surtout dans la volonté de déterminer un meilleur mode de gouvernement des hommes. Bref, la question de l’identité européenne partagée reste posée.

L’Europe souffre ensuite de la difficulté à dégager un nouveau projet européen. Reprenons un passage de l’ouvrage Pompiérisme (1944) de l’écrivain italien Alberto Savini : « Aucun homme, aucune Puissance, aucune Force ne pourra unir les Européens et « faire » l’Europe. Seule une Idée pourra les unir : seule une Idée pourra « faire » l’Europe. Idée : cette « chose humaine » par excellence. (…) Cette idée est l’idée de la communauté sociale. Cela ne peut être autre chose que l’idée de la communauté sociale. (…) Pour arriver à union naturelle et par conséquent valide, l’Europe doit découvrir toute seule, inventer toute seule la raison profonde de cette union ; ne pas la reprendre, ne pas imiter ce que d’autres ont fait. Autrement, l’Europe fera elle aussi son « rêve de Charlemagne », son « rêve de Napoléon », son « rêve de Hitler ». »

Après la paix en Europe (1945), à la suite de la création du marché commun (1957), puis du marché intérieur (1986), la définition d’un nouveau projet européen, l’élaboration d’une nouvelle idée européenne constitue la meilleure voie pour (re)donner un nouvel élan à la construction européenne.

Cela passera peut-être par la création d’une Europe politique. Cet objet politique non identifié (expression de J. Delors) se situe en effet à la croisée des chemins. L’Europe est, d’abord, « une communauté de droit » (pour W. Hallstein, premier président de la Commission européenne), et parfois même « un empire normatif » (selon le Wall Street Journal) ; elle est, ensuite, un grande économie : la première puissance économique au monde avec près de 31 % du PIB mondial (en 2007 et en parité de pouvoir d’achat), le premier acteur commercial (près de 16,5 % des exportations mondiales)2 et un taux d’intégration très élevé, donc un taux d’ouverture très faible3, à l’intérieur de l’Union européenne à 27 ; elle sera, enfin – peut-être – à l’avenir, une entité politique à part entière.

Toutefois, si les Etats, les hommes politiques ou les citoyens n’y sont pas prêts, le projet peut s’orienter vers une Europe de la culture4, nouvelle étape de l’intégration européenne, préalable sans doute nécessaire à toute construction politique. La nouvelle idée européenne se nommerait alors éducation, arts et sciences ; elle serait conforme à l’identité européenne depuis l’antiquité gréco-romaine jusqu’au Lumières en passant par la Renaissance. S’il fallait tout (re)commencer, et remettre l’ouvrage sur le métier, ce serait donc via la culture. Elle a pour principal atout de poursuivre la construction de ce lien, et donc de ce ciment européen, qui fait encore tant défaut.

Dans les Métamorphoses d’Ovide, on arrive en Europe par le passage de la terre d’Asie à la terre d’en face. L’Europe serait ce territoire d’en face qui s’est progressivement autonomisé par rapport à l’Asie. Ce « petit cap du continent asiatique » est aujourd’hui plus que jamais dépendant du gaz russe, du pétrole au Moyen Orient, de l’industrie chinoise et, demain, des services indiens. Souhaitons que le retour de l’histoire ne fasse pas de notre Europe un nouvel appendice de l’Asie. Faute d’avoir su définir l’identité européenne et le projet européen au bon moment.

1 Hérodote : « Quant à l’Europe, il ne paraît pas que l’on sache ni d’où elle a tiré son nom ni qui le lui a donné ».

2 Contre 12 % pour les USA et 11 % pour la Chine (en 2007).

3 Le taux d’ouverture (égal aux importations rapportées au PIB) de l’Europe à 27 se situe aux environs de 11 %, soit un niveau inférieur à celui des Etats-Unis.

4 La notion de culture est prise dans son acception la plus large. Elle regroupe la recherche et le développement, l’éducation, la jeunesse, le multilinguisme, ou encore la citoyenneté. Elle viserait à promouvoir le cinéma européen, les artistes en Europe, le renforcement des programmes d’échange…

L’intitulé « Education et culture » du budget européen fait état de 1,3 milliard d’euros de dépenses en 2008, alors que le budget de l’Union européenne s’élève à 129 milliards d’euros cette même année.

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